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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 141

Le jeudi 21 septembre 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 21 septembre 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Les pensions de l’État britannique

L’honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, je tiens à remercier les collègues qui ont ajouté leur signature et appuyé nos efforts pour convaincre le gouvernement du Royaume-Uni de corriger une situation consternante : la valeur des allocations de retraite des pensionnés de l’État britannique qui vivent au Canada diminue, car elles ne sont pas indexées. Les pensionnés de l’État britannique qui vivent aux États-Unis et dans une foule d’autres pays, notamment la Turquie, l’Islande, les Philippines, et j’en passe, reçoivent des pensions indexées, mais pas ceux au Canada.

Or, en raison du taux d’inflation élevé dans notre pays, certains de ces pensionnés vivent maintenant dans la pauvreté. Malgré qu’ils aient cotisé au régime de pension britannique, ils doivent demander au gouvernement du Canada de leur prêter assistance par le truchement du Supplément de revenu garanti.

Chers collègues, plus de 120 000 citoyens britanniques qui vivent au Canada touchent une pension non indexée de l’État britannique. C’est donc dire que le gouvernement du Royaume-Uni réduit le pouvoir de dépenser du Canada de plus de 450 millions de dollars.

À titre de rappel, le Canada indexe son régime de pensions, quel que soit l’endroit dans le monde où vit le bénéficiaire. Alors qu’il tente de négocier un accord de libre-échange avec le Canada, le gouvernement du Royaume-Uni a là une excellente occasion de faire preuve de bonne volonté en éliminant cet irritant entre nos deux pays et en traitant leurs citoyens avec équité et compassion. Je vous remercie, chers collègues.

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de l’agent Brett Boniface, de la Police provinciale de l’Ontario, fils de la sénatrice Boniface, ainsi que Grayson et Hudson, ses petits-fils.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Jour commémoratif national des policiers et des agents de la paix

L’honorable Gwen Boniface : Bon retour, honorables sénateurs.

L’agent Andrew Hong, du Service de police de Toronto; l’agent Devon Northrup, du Service de police de South Simcoe; l’agent Morgan Russell, du Service de police de South Simcoe; la gendarme Shaelyn Yang, de la GRC; l’agent Grzegorz Pierzchala, de la Police provinciale de l’Ontario; l’agent Brett Ryan, du Service de police d’Edmonton; l’agent Travis Jordan, du Service de police d’Edmonton; la sergente Maureen Breau, de la Sûreté du Québec; le gendarme Harvinder Singh Dhami, de la GRC; le sergent Eric Mueller, de la Police provinciale de l’Ontario; le détective Steven Tourangeau, de la Police provinciale de l’Ontario.

Chers collègues, 11 agents de police canadiens sont morts en service cette année. Onze partenaires de vie ont perdu leur âme sœur. Douze enfants devront vivre avec un trou béant pour le reste de leur vie. Un enfant à naître ne connaîtra jamais son père. Des parents qui vivent de l’autre côté de l’océan ont perdu leur fille. Un agent de police à la retraite a perdu l’enfant qui avait suivi ses traces. C’est un club dont personne ne veut être membre. C’est une horreur sans nom pour les familles et les collègues. Pour nos communautés et notre propre sécurité, c’est dévastateur.

Ce dimanche est le Jour commémoratif national des policiers et des agents de la paix. Chaque année, le dernier dimanche de septembre, une cérémonie commémorative a lieu sur la Colline du Parlement pour rendre hommage aux policiers et agents de la paix qui sont morts en service. Cette cérémonie est l’occasion pour les familles et les amis de se réunir, de pleurer et de se souvenir ensemble.

Chers collègues, nous savons que cette année a été tragique — elle ne ressemble à aucune autre que j’ai vécue. Je vous invite à vous joindre à ma famille et à moi, ainsi qu’à tous les dignitaires et à la famille policière, au cours de la cérémonie qui débutera à 11 heures dimanche. Le défilé débutera à 10 h 15 sur la rue Wellington, devant la Cour suprême. Je vous invite à vous joindre à nous pour honorer leur mémoire, partager la peine de leurs familles et rendre hommage à leur dévouement et à leur engagement envers nos collectivités. Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le décès d’Étienne Gabrysz-Forget

L’honorable Diane Bellemare : Chers collègues, permettez-moi de rendre hommage aujourd’hui à Étienne Gabrysz-Forget, que certains connaissent dans la grande famille du Sénat, car il a été mon conseiller parlementaire de 2014 à 2016. Il a mis fin à ses jours le 21 avril dernier, à l’aube de ses 33 ans. Avocat de formation, spécialisé dans les litiges, il avait un avenir brillant et prometteur devant lui. Au moment de son décès, il travaillait pour le bureau Morency Avocats. Épris de justice, il désirait devenir juge. Il m’a très bien secondée dans mon travail de sénatrice.

C’est lui qui a effectué la recherche statistique sur les sénats dans le monde qu’on peut retrouver sur mon site Web. On tentait alors de mieux comprendre la spécificité du Sénat du Canada par rapport aux autres sénats dans le monde.

Il m’a encouragée lorsque j’ai décidé de devenir sénatrice indépendante, et plus tard lorsque j’ai accepté de rejoindre le sénateur Harder au bureau du représentant du gouvernement au Sénat. Il a aussi laissé son empreinte dans le Sénat d’aujourd’hui en proposant une nouvelle appellation pour l’adjointe au leader du gouvernement au Sénat, soit le titre de coordonnatrice législative, qui se trouve maintenant dans la Loi du parlement.

Étienne était un être rieur, coquin et très sociable. Il parlait à tout le monde et avait la répartie facile. Un matin, il a décidé, sans me prévenir, de discuter de la réforme du Sénat avec le ministre de la Réforme démocratique de l’époque, nul autre que le chef de l’opposition actuel, Pierre Poilievre. Il n’a pas obtenu le succès escompté. Il aimait aussi se faire prendre en photo avec le Président du Sénat, Pierre Claude Nolin.

Sous une allure raffinée, bon chic, bon genre, Étienne était un être complexe. Il se cherchait. Il avait mal à l’âme, mais jamais au grand jamais je n’aurais pensé qu’il pourrait commettre un geste si irréparable. Pourtant, on le sait, les problèmes de santé mentale peuvent se manifester subitement et impulsivement. Des problèmes temporaires peuvent entraîner des conséquences permanentes.

On ne saura jamais ce qu’il pensait quand il est passé à l’acte. Ce que l’on sait, toutefois, c’est qu’il se savait traversé par une crise d’anxiété insupportable et que, pour prévenir tout geste suicidaire, il est allé à l’hôpital. Malheureusement, les soignants n’ont pas cru nécessaire de le garder à l’œil et ils l’ont renvoyé chez lui. Même les spécialistes ont de la difficulté à bien comprendre l’intangibilité de la santé mentale. Quel gâchis!

Chers collègues, nous nous préoccupons de notre santé physique en mesurant notre tension artérielle, en faisant des analyses de sang et en évaluant notre poids, mais nous avons aussi une santé mentale. Il faut s’en préoccuper, ainsi que celle de nos êtres chers.

Étienne, il y avait tellement de gens à tes funérailles. C’était phénoménal, et pourtant, tu te sentais seul. Nous sommes nombreux à penser à toi et nous te bercerons dans nos pensées.

Étienne laisse dans le deuil sa mère, Marguerite Gabrysz, sa sœur, Fanny, son conjoint, Guillaume et son petit neveu, Adrien, qu’il n’aura jamais vu, parce que celui-ci est né quelques semaines après son décès, ses oncles, ses tantes, ainsi que de nombreux amis.

Repose en paix. Merci beaucoup.

(1410)

[Traduction]

Les incendies de forêt en Colombie-Britannique

L’honorable Bev Busson : Honorables sénateurs, c’est le cœur lourd que je prends la parole aujourd’hui. Comme vous le savez probablement déjà, quatre pompiers forestiers sont morts hier dans un tragique accident de la route à l’ouest de Kamloops, en Colombie-Britannique. Ils rentraient chez eux après avoir lutté contre les terribles incendies de forêt qui sévissent dans notre région.

Nos pensées accompagnent les familles, les amis et les collègues de ces quatre jeunes hommes courageux. Cette nouvelle dévastatrice s’inscrit dans la foulée de la pire saison des incendies de l’histoire coloniale, et l’incident porte à six le nombre total de pompiers forestiers tués cet été en Colombie-Britannique.

L’accumulation de neige inférieure à la moyenne pendant l’hiver, qui a entraîné un niveau d’humidité beaucoup plus faible que la moyenne dans les forêts, est un des éléments déclencheurs de cette saison. La situation a été aggravée par la sécheresse extrême de l’été et des températures élevées qui ont créé une recette parfaite pour un désastre. Les prévisionnistes d’incendies étaient pessimistes au début du printemps. Peu après, des incendies se sont déclarés dans toute la province et se sont propagés à la quasi-totalité du territoire. Certains sont d’origine humaine, mais la grande majorité a été déclenchée par de la foudre sèche.

Comme la politique de la Colombie-Britannique le prévoit dans ces circonstances, on a laissé aller la plupart des incendies tant qu’ils ne menaçaient pas les constructions et les infrastructures. Dans ma région, Shuswap, on a donc laissé brûler un vaste incendie pendant trois semaines dans les environs du lac Adams. À la fin juillet et au début août, lorsqu’il était devenu évident que mère Nature n’allait pas intervenir, les gens ont commencé à s’inquiéter, mais il était déjà trop tard. Dans la nuit du 17 août, des vents violents ont poussé l’incendie au-delà de la vallée du lac Adams, qui était complètement ravagée, jusqu’à Shuswap.

En 12 heures, l’incendie a parcouru 20 kilomètres malgré les coupe-feux et le lac. Les pompiers n’arrivaient pas à le contenir. L’évacuation d’urgence a été immédiatement ordonnée, mais pour bien des gens, il n’y avait alors plus rien d’autre à faire que de quitter la région par la route qu’il était encore possible d’emprunter. Certains se sont réfugiés sur le lac, où ils ont été secourus par des plaisanciers. Bon nombre d’entre eux étaient des membres de la bande de Little Shuswap Lake. Certains s’en sont sortis de justesse et ont malheureusement perdu leur maison.

Le même soir, à environ 100 kilomètres au sud, un autre incendie a éclaté à Kelowna. Les pompiers de Shuswap ont immédiatement été dépêchés dans cette zone pour lutter contre le feu incontrôlé.

À la fin de cette journée apocalyptique, dans la région de Shuswap seulement, plus de 11 000 résidants ont été évacués. Environ 131 maisons et chalets ont été réduits en cendres, et 37 autres ont été endommagés. Dans toute la province, environ 22 500 kilomètres carrés, soit la moitié de la superficie de la Nouvelle-Écosse, ont été détruits pour des générations. À l’heure où je vous parle, malgré les pluies récentes, 216 pompiers forestiers luttent toujours pour venir à bout de ces incendies sans précédent dans la région de Shuswap seulement.

Nous saluons le courage de ceux qui manient les lances d’incendie et de ceux qui s’empressent de parcourir les collectivités pour s’assurer que tout le monde est hors de danger, alors que leur propre maison brûle dans certains cas.

Nous avons une dette dont nous ne pourrons jamais nous acquitter envers les quatre jeunes hommes qui sont morts hier et qui ont rejoint leurs jeunes camarades sur la liste des personnes tuées au service de leur collectivité cette année. Puissiez-vous reposer en paix. Kukwstsétsemc.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Alan Cotter, le frère du sénateur Cotter, de Deb Cotter, sa belle-sœur, et de Katie Cotter, sa nièce.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les Jeux autochtones de l’Amérique du Nord

L’honorable Brent Cotter : Je n’ai pas l’habitude d’avoir un public, je vais donc essayer de bien faire les choses. Cet été a été extrêmement imprévisible et, dans certains cas et à certains endroits — comme nous venons de l’entendre —, tragique. Nous sommes de tout cœur avec les Canadiens dans différentes régions du pays qui ont subi les conséquences d’événements hydrologiques et météorologiques dramatiques et sans précédent qui ont causé une telle destruction et, parfois, la perte de vies humaines.

Cependant, aujourd’hui, je voudrais dire quelques mots sur un événement international qui s’est déroulé en juillet en Nouvelle-Écosse, sur le territoire ancestral et non cédé du peuple mi’kmaq, qui a été à la fois une célébration et une source d’inspiration.

Du 16 au 23 juillet, Halifax, Dartmouth, ainsi que les nations de Millbrook et de Sipekne’katik ont accueilli les Xe Jeux autochtones de l’Amérique du Nord. Ce furent les plus grands et, à mon avis, les plus réussis de l’histoire des jeux. Au total, 5 000 athlètes autochtones issus de 750 Premières Nations de tout le continent, avec le soutien de 3 000 bénévoles, ont pris part à toute une série de compétitions dans 16 épreuves différentes. Ils ont tous réalisé des performances exceptionnelles.

J’étais à Halifax pendant une partie de la durée des jeux et je peux vous dire que l’ambiance dans la ville était spectaculaire. Des groupes exubérants de jeunes athlètes en uniformes étaient accueillis chaleureusement partout dans la ville par les citoyens d’Halifax. Les partisans encourageaient tout autant les athlètes locaux que ceux venus de loin qu’ils ne connaissaient pas.

Tout ne tourne pas autour du sport, mais le sport est souvent une fenêtre sur notre société, une fenêtre sur le possible, un aperçu de l’excellence et, parfois, un aperçu de la réconciliation. À mes yeux, cet aperçu a été pour le moins inspirant, tant sur le plan des capacités et de l’engagement de ces athlètes que de l’accueil qu’ils ont reçu de la part du bon monde de la Nouvelle-Écosse. Félicitations.

Je m’en voudrais de ne pas conclure mes remarques en soulignant que parmi toutes les délégations d’athlètes qui ont participé aux jeux, celle qui a remporté le plus de médailles — et qui, je suppose, a remporté les Jeux autochtones de l’Amérique du Nord — est celle de la Saskatchewan. Ces jeux ont eu lieu 10 fois, et la Saskatchewan ne les a remportés que sept fois.

Toutes mes félicitations à la Nouvelle-Écosse, ainsi qu’à tous les athlètes, les entraîneurs et les officiels qui ont participé à ces jeux. Je tiens à féliciter tout particulièrement la délégation de la Saskatchewan et son chef de mission, Mike Tanton. Merci.

Des voix : Bravo!

Le ministère de la Cybersécurité et des Solutions numériques de la Nouvelle-Écosse

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, c’est avec fierté que je vous expliquerai ce que fait la Nouvelle-Écosse pour surmonter les obstacles associés aux changements technologiques et saisir les occasions qui en découlent.

En mai 2023, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a créé le ministère de la Cybersécurité et des Solutions numériques, qui a pour mandat de s’attaquer aux problèmes que j’ai souvent abordés ici même, comme l’adaptation des services aux besoins des citoyens.

La raison d’être de ce ministère est apparue au grand jour lorsque le gouvernement a appris qu’il était touché par une cyberattaque mondiale de grande ampleur visant le service prétendument sécurisé de transfert de fichiers utilisé par des centaines de milliers de gouvernements et d’entreprises de par le monde. Les renseignements personnels de nombreux Néo-Écossais ont alors été subtilisés.

Cet été, j’ai pu rencontrer le ministre de la Cybersécurité et des Solutions numériques de la Nouvelle-Écosse, l’honorable Colton LeBlanc. J’ai été particulièrement impressionné par le fait que cette cyberattaque n’a fait que renouveler sa détermination à tout faire pour que sa province devienne un chef de file de la transformation numérique. Par exemple, les Néo-Écossais peuvent désormais effectuer bon nombre de transactions courantes — comme renouveler leur permis de conduire, faire leur examen de conduite et demander des subventions — directement en ligne et dans la langue officielle de leur choix. Les examens et les rendez-vous médicaux peuvent aussi être pris et modifiés en ligne. Il a suffi de quelques jours après l’ouragan Fiona, les feux de forêt du printemps et les inondations de cet été pour que le gouvernement mette en ligne des programmes d’aide et mette à la disposition de la population les services de base et les formulaires nécessaires en ces temps difficiles.

L’engagement du ministre de constamment veiller à mettre en place des services et des systèmes qui répondent aux attentes des Néo-Écossais est une source d’inspiration.

Il arrive trop souvent que les annonces des gouvernements laissent entendre que le travail a été fait. Le travail n’est jamais terminé dans le monde numérique. En cette ère numérique, les sociétés sont constamment vulnérables à de nouvelles menaces, que les gouvernements utilisent la numérisation ou non. La seule solution pour accroître la sécurité est de toujours être à l’avant‑garde des progrès. Nous devons remplacer les anciennes pratiques par de meilleures pratiques et bâtir des infrastructures numériques sécuritaires pour réduire à la fois les incidents de cybersécurité malveillants ou accidentels et les énormes coûts qui en découlent.

Les progrès spectaculaires de l’intelligence artificielle et d’autres technologies émergentes ne feront qu’accroître ces risques. Il est important que tous les Canadiens, y compris toutes les personnes ici présentes, acquièrent les capacités et les habitudes nécessaires pour réduire les risques en matière de cybersécurité. Les criminels s’en prennent toujours aux cibles les plus vulnérables.

Je suis fier de voir que ma province s’attaque de front à ces problèmes, et je souhaite au ministre Colton LeBlanc ainsi qu’à son ministère que tous leurs efforts pour protéger et améliorer la vie des Néo-Écossais continuent d’être fructueux.


(1420)

AFFAIRES COURANTES

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-48—Dépôt de document

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), conformément à la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, par. 4.2(1).

L’étude sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général

Onzième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie—Dépôt de la réponse du gouvernement

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, la réponse du gouvernement au onzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, intitulé Tous ensemble — Le rôle de l’analyse comparative entre les sexes plus dans le processus d’élaboration des politiques : Réduire les obstacles à une analyse intersectionnelle inclusive des politiques, déposé au Sénat le 30 mars 2023.

(Conformément à l’article 12-23(4) du Règlement, cette réponse et le rapport initial sont renvoyés d’office au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

Le Sénat

Préavis de motion tendant à autoriser les comités mixtes à tenir des réunions hybrides

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, jusqu’à la fin de la journée le 30 juin 2024, tout comité mixte soit autorisé à tenir des réunions hybrides, les dispositions de l’ordre du 10 février 2022 concernant de telles réunions ayant effet;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

Projet de loi sur le Mois du patrimoine ukrainien

Première lecture

L’honorable Stan Kutcher dépose le projet de loi S-276, Loi instituant le Mois du patrimoine ukrainien.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Kutcher, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à persister à être solidaire de l’Ukraine et de son peuple

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que le Sénat du Canada :

a)reconnaisse que la guerre illégale et génocidaire de la Russie contre l’Ukraine continue de causer la mort et la destruction en Ukraine, de menacer la santé et le bien-être de la planète, et de mépriser la primauté du droit international;

b)persiste à être solidaire de l’Ukraine et de son peuple.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)


PÉRIODE DES QUESTIONS

La sécurité publique

Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, mardi, mes collègues et moi vous avons posé de multiples questions au sujet des sénateurs qui ont été nommés par le premier ministre Trudeau au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Nous avons demandé de la transparence au sujet de ces nominations. Nous vous avons demandé d’obtenir des renseignements auprès du premier ministre en votre qualité de représentant du gouvernement Trudeau au Sénat. Sénateur Gold, vous avez eu deux jours pour faire un appel et obtenir une réponse de votre patron, le premier ministre. Pourquoi aucun sénateur de l’opposition conservatrice n’a-t-il été nommé au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Comme je l’ai dit à maintes reprises mardi, le premier ministre a fondé son choix sur une série de critères, dont le besoin de diversité, la représentation géographique, les compétences des candidats et les besoins du comité.

Le sénateur Plett : Il va sans dire que de nombreux conservateurs répondent aux critères que vous venez de mentionner.

Soyons clairs, nous ne sommes pas personnellement mécontents de ne pas avoir été inclus, nous dénonçons plutôt le mépris et le manque total de considération du premier ministre Trudeau à l’égard d’une représentation démocratique équilibrée au sein d’un comité qui traite de questions relatives à la sécurité nationale et au renseignement. Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est chargé de se pencher sur des enjeux qui préoccupent de plus en plus les Canadiens, à juste titre. Alors que nos concitoyens ont besoin d’être rassurés, le premier ministre fait fi du principe de la coopération entre les partis et nomme apparemment uniquement des gens qui appuient son gouvernement — et lui-même — au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

Sénateur Gold, pourquoi le premier ministre Trudeau se donne‑t‑il tant de mal pour exclure les sénateurs de l’opposition? Pourquoi le gouvernement a-t-il si peur qu’un parti de l’opposition siège à la table?

Le sénateur Gold : Il est tout simplement faux de dire que le premier ministre choisit des sénateurs « alliés ». Il a nommé trois sénateurs éminents et qualifiés qui ne sont affiliés à aucun parti politique. Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement compte des membres du Parti conservateur et de tous les autres partis de l’opposition à la Chambre. Ce comité est diversifié, solide et extrêmement compétent, et il sert bien les intérêts des Canadiens.

Les finances

Les renseignements financiers

L’honorable Elizabeth Marshall : Ma question s’adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, j’ai demandé à maintes reprises, tant dans cette enceinte qu’en comité, des renseignements financiers de base, mais je n’obtiens pas de réponses. En juin, je vous ai demandé si les subventions aux usines de batteries étaient incluses dans le budget de 2023, et je n’ai toujours pas reçu de réponse. En mai ou juin, j’ai demandé à la ministre des Finances le montant révisé du coût des intérêts de la dette, car la Banque du Canada a augmenté les taux d’intérêt à plusieurs reprises. Dans le budget, il est question de 43,9 milliards de dollars, mais le montant sera plus élevé. Hier, j’ai encore entendu quelqu’un dans cette enceinte parler de 43,9 milliards de dollars. Je rappelle que je n’ai pas pu obtenir de réponse de la part de la ministre.

Je peux citer de nombreux cas où j’ai cherché à obtenir des renseignements en vain, bien qu’il s’agisse d’information de base. Je me fie donc surtout aux Comptes publics du Canada pour l’exercice qui s’est terminé en mars 2022, mais ces renseignements datent maintenant de 18 mois. Six mois se sont écoulés depuis la fin du dernier exercice.

(1430)

La semaine prochaine, le Comité des finances nationales poursuivra son étude du Budget principal des dépenses. Il serait très utile d’avoir les chiffres réels pour le dernier exercice afin que nous puissions examiner les prévisions budgétaires de cet exercice et les comparer à ceux-ci.

Ma question est la suivante : quand le gouvernement publiera-t-il les Comptes publics de 2023? Prévoit-il nous faire attendre jusqu’en décembre, comme il l’a fait il y a deux ans?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Je vous remercie des efforts constants déployés par vous et d’autres sénateurs pour demander des comptes au gouvernement sur les questions financières. Je porterai certes vos préoccupations à l’attention de la ministre, et j’espère vraiment que les renseignements que vous demandez vous seront fournis bientôt.

La sénatrice Marshall : Ma question complémentaire porte aussi sur le manque de données financières. On ne peut carrément pas y avoir accès. Quand je vous ai posé la question, en mai ou en juin, j’ai dit que tout cela donnait l’impression qu’il y avait des cachotteries à propos de certaines de ces données. Vous vous êtes alors offusqué et vous avez exprimé votre désaccord.

Même la plus simple des informations est impossible à obtenir. Or, le gouvernement communiquait toujours librement ces données au comité. Je trouve qu’on refuse de plus en plus de nous fournir des renseignements pourtant élémentaires.

Voici un exemple. En juin dernier, j’ai demandé au ministère des Finances qu’on me dise à combien s’élève la dette consolidée du gouvernement, c’est-à-dire celle du gouvernement central et de toutes les sociétés d’État. Auparavant, on me donnait toujours cette information ou on me la faisait parvenir plus tard. Aujourd’hui, je ne peux même plus obtenir ce chiffre.

Ce qui est étrange, c’est que je pourrais moi-même faire le calcul, mais il faudrait que je consulte une dizaine de documents financiers différents. Pour cela, il me faudrait un jour de travail. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement est si cachottier à propos de données financières pourtant élémentaires.

Vous parlez sans cesse de transparence, mais quand vous dites que le gouvernement est transparent, il me vient invariablement à l’esprit combien il est difficile d’obtenir de simples données financières.

Ma question est la même que la dernière fois : pourquoi le gouvernement est-il aussi cachottier au sujet de renseignements élémentaires que l’on pourrait trouver, peut-être pas aisément, mais en y consacrant une journée d’efforts? Pouvez-vous répondre à cette question? Avez-vous des explications?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. C’est une question légitime. Je ne suis pas en mesure d’expliquer les retards dans l’obtention des renseignements que vous recherchez. Cependant, je ferai de mon mieux pour essayer de faciliter la transmission de ces renseignements.

L’environnement et le changement climatique

Les cibles du Canada en matière de réduction des émissions

L’honorable Mary Coyle : J’ai une question à poser au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, hier, avant le Sommet sur l’ambition climatique au siège des Nations unies à New York, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, a écrit sur Twitter que « [l]e Canada fait partie de ceux qui agissent dans la lutte contre les changements climatiques ».

Pour moi, ce gazouillis implique que le Canada joue un rôle de leader important dans la lutte contre les changements climatiques.

Sénateur Gold, pourriez-vous informer le Sénat des annonces importantes faites lors du Sommet sur l’ambition climatique en ce qui concerne l’accélération des efforts visant à respecter les engagements du Canada en matière de carboneutralité, ainsi que de tout élément nouveau et significatif concernant le soutien du Canada et d’autres pollueurs historiques aux pays du Sud pour qu’ils atteignent leurs objectifs en matière de carboneutralité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie. Depuis 2015, le gouvernement a pris des mesures concrètes et tangibles pour s’attaquer aux changements climatiques, réduire la pollution, créer des emplois et aider l’environnement. Il multiplie également les annonces au sujet des programmes et plans existants.

On me dit qu’hier, pendant le sommet, le ministre Guilbeault a annoncé que le Canada dépassera ses cibles de réduction des émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier et que, d’ici 2030, ces mêmes émissions seront au moins 75 % inférieures aux niveaux de 2012. Le gouvernement va continuer d’investir et d’agir pour lutter contre la crise climatique et offrir un avenir meilleur aux Canadiens.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie, sénateur Gold.

Ce n’est pas moi qui vous apprendrai qu’en matière climatique, sénateur, la coopération internationale est primordiale. Pour tout dire, si les pays n’intensifient pas et n’améliorent pas leurs efforts de collaboration, la planète risque fort de dépasser l’objectif de 1,5 degré figurant dans l’Accord de Paris.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire ce que le Canada entend faire, dans le contexte géopolitique de plus en plus clivé qui est le nôtre, pour être plus proactif dans le domaine de la diplomatie climatique?

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Je n’ai pas d’exemples concrets à vous donner. Je sais toutefois que le gouvernement entend miser sur la collaboration avec ses alliés — et pas juste avec ses alliés, en fait, mais avec tous les pays qui le veulent, puisque, comme je l’ai déjà dit, c’est dans leur propre intérêt — pour réduire les émissions de carbone et éviter que les ressources de la planète ne finissent par se tarir.

La lutte contre les changements climatiques fait donc partie de la série de priorités internationales auxquelles le Canada entend donner suite de concert avec ses homologues sur la scène internationale.

[Français]

Les affaires mondiales

Le citoyen canadien détenu en Algérie

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, un chercheur canadien de 36 ans, Raouf Farrah, a été condamné récemment à deux ans de prison en Algérie. Depuis le mois de février, il est détenu dans une prison algérienne et accusé de recel de fonds susceptibles de troubler l’ordre public. Tous les observateurs s’entendent pour dire que ce sont des accusations sans fondement. Selon l’organisation PEN America, cette condamnation injuste contre Raouf Farrah illustre jusqu’où le gouvernement algérien est prêt à aller pour éradiquer les commentaires critiques et les études indépendantes.

Sénateur Gold, est-il possible de nous donner des informations sur les démarches en cours pour essayer de faire libérer M. Farrah?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, et aussi de souligner ce cas troublant non seulement pour cet homme et sa famille, mais aussi pour la cause de la liberté démocratique. On m’a informé qu’Affaires mondiales Canada est effectivement au courant de sa situation et de sa détention en Algérie. Vous comprendrez, chère collègue, que, pour des raisons de confidentialité, aucune autre information ne peut être divulguée à ce moment-ci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais tout de même essayer de vous tirer les vers du nez, mais peut-être que je n’y arriverai pas. Cet homme est un citoyen canadien, il est diplômé de l’Université de Montréal et de l’Université d’Ottawa. Il a épousé une Québécoise. Il est père d’une petite fille de 4 ans. Je comprends pourquoi la discrétion est nécessaire, mais ma demande d’aujourd’hui est plus simple. Pouvez-vous nous assurer que le gouvernement ne dormira pas sur ce dossier, et que celui-ci ne retombera pas au bas de la pile?

Le sénateur Gold : Oui, je peux vous rassurer à cet égard, madame la sénatrice, et je vous remercie de la question. On m’assure que les responsables canadiens sont en contact et fournissent une assistance consulaire aux Canadiens et à leurs familles.

[Traduction]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les réfugiés ukrainiens

L’honorable Pamela Wallin : Monsieur le leader du gouvernement, de nombreux Ukrainiens ont cru le Canada lorsqu’il a dit qu’il leur offrirait un refuge, du travail et un milieu accueillant. Je pense que la motion que le Sénat a adoptée à l’unanimité aujourd’hui vient renforcer cet engagement initial.

Cependant, ceux qui font tout selon les règles, qui soumettent les documents nécessaires et qui ont payé de leur poche pour venir ici doivent quand même attendre des mois avant d’obtenir un visa de travail et sont coincés dans les limbes. On ne répond pas à leurs appels ni à ceux de leurs employeurs, et je suis incapable d’obtenir des réponses en leur nom.

Les gens ont besoin de se loger, de se nourrir, d’un travail et d’un revenu. S’ils n’ont pas de travail, il leur est impossible de rester ou de partir.

Quand affecterez-vous le personnel et les ressources nécessaires pour mettre fin aux arriérés? Dans ma collectivité, des Ukrainiens sont venus pour travailler dans le secteur agricole. Or, les récoltes sont maintenant presque terminées.

Combien de temps ces gens qui fuient la mort doivent-ils attendre? Pourquoi le gouvernement n’est-il pas prêt à faire ce qu’il a promis en accueillant les réfugiés ukrainiens comme il se doit?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et d’avoir souligné les défis auxquels sont encore confrontés les réfugiés ukrainiens au Canada, à l’instar du trop grand nombre d’immigrants qui sont venus ici et qui attendent toujours la résolution de leur demande. Le gouvernement a mis en place et continue de mettre en place des ressources, et il travaille avec diligence pour résorber l’arriéré auquel vous faites référence.

La sénatrice Wallin : Nous avons fait une promesse et pris un engagement, et le président de l’Ukraine arrive demain. C’est une question qui peut être résolue. Pouvez-vous préciser un échéancier? Un résidant de ma circonscription attend depuis le 15 juin sans avoir touché un sou. Il a dûment rempli tous les formulaires requis, payé de sa poche son voyage jusqu’ici, et il vit de la gentillesse d’inconnus dans notre collectivité.

(1440)

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je ne manquerai pas de porter ces éléments à l’attention du ministre. Je peux également vous dire que je connais personnellement quelqu’un qui est dans une situation semblable à celle que vous décrivez et qui, à peu près dans les mêmes délais, attend toujours une solution. Je comprends que ces choses prennent du temps et je comprends la frustration et les difficultés que causent les retards ou les délais. Le gouvernement fait tout son possible pour y remédier.

Les relations Couronne-Autochtones et les Affaires du Nord

La Loi sur les Indiens

L’honorable Brian Francis : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

En juillet dernier, le rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones des Nations unies a publié un rapport sur les peuples autochtones au Canada. Parmi un certain nombre de recommandations, M. Cali Tzay a expressément demandé au Canada de mettre en œuvre les recommandations du Comité sénatorial des peuples autochtones, y compris l’abrogation du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, aussi appelé la disposition relative à l’« exclusion après la deuxième génération ».

Le gouvernement du Canada mettra-t-il enfin fin à la discrimination envers les femmes des Premières Nations et leurs descendants dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription? Se contentera-t-il plutôt de conserver une approche réactive à la suite de décisions des tribunaux?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de la question. Je vous remercie également de nous rappeler encore une fois que le travail visant à éliminer l’inégalité entre les sexes et d’autres inégalités dans le système juridique canadien n’est pas terminé — la Loi sur les Indiens n’est que l’exemple le plus connu à cet égard.

Le gouvernement actuel a fait plus que n’importe quel autre gouvernement dans ce dossier. Le Sénat a joué un rôle déterminant à cet égard. Je vais certainement me renseigner et faire part des préoccupations au ministre. J’encourage tous mes collègues, notamment les membres du Groupe de travail des sénateurs autochtones et du comité, à continuer d’utiliser les tribunes dont nous disposons pour garantir que cette question reste d’actualité.

Le sénateur Francis : Sénateur Gold, les femmes des Premières Nations et leurs descendants se battent depuis des décennies devant les tribunaux pour éliminer la discrimination en fonction du sexe. Nous méritons réparation pour les préjudices qui continuent d’être perpétrés. Si le gouvernement du Canada a vraiment à cœur la réconciliation, il est plus que temps qu’il élimine toutes les iniquités qui sont toujours présentes dans la Loi sur les Indiens. Nous n’accepterons rien de moins. Je serais ravi d’obtenir un compte rendu détaillé des progrès qui seront réalisés en 2023, si tant est qu’il y en ait.

Le sénateur Gold : Encore une fois, je comprends certainement la question et je la respecte. Je vais certainement la porter à l’attention du ministre pertinent.

[Français]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les services de passeport

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Monsieur le leader, nous voici avec un autre désastre du gouvernement, soit le nouveau passeport, qui a coûté 284 millions de dollars — un dépassement de coûts de 123 millions de dollars. Il s’agit d’un autre exemple — parmi les dizaines, voire les centaines — de l’incompétence de ce gouvernement.

De plus, le nouveau passeport se dégrade par temps humide; après quelques semaines, les coins se retroussent. L’ancien passeport durait facilement 10 ans; celui du gouvernement Trudeau est usé après deux mois seulement. Sénateur Gold, comment expliquez-vous ce coût astronomique pour le design d’un nouveau passeport d’aussi piètre qualité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Le gouvernement a travaillé avec la Compagnie canadienne des billets de banque limitée pour le design, le développement et le déploiement de la prochaine génération de passeports. Ce travail était nécessaire afin que nos passeports soient sécuritaires dans un monde de plus en plus vulnérable face à des attaques de nature technologique. Grâce aux progrès des technologies, ces passeports seront sécuritaires. C’était l’objectif du design et des décisions entourant le nouveau passeport.

Le sénateur Carignan : Je ne vois pas comment un passeport qui durera deux mois améliorera la sécurité.

L’une des caractéristiques de ce nouveau passeport, c’est qu’il ne contient plus les images historiques et iconiques du Canada. On n’y retrouve plus le monument de Vimy, ni le Château Frontenac, ni notre héros national, Terry Fox. Nous sommes maintenant reconnus comme étant le pays des flocons de neige et des petits écureuils. Manifestement, l’emploi des nouveaux matériaux pour le passeport est un échec, et on soupçonne que le travail a été bâclé et que les tests appropriés n’ont pas été faits. Monsieur le leader, pourquoi les Canadiens doivent-ils payer une fortune à des consultants, simplement parce que le gouvernement Trudeau insistait pour effacer des pages de notre histoire, sans compter un dépassement de coûts de près de 100 %?

Le sénateur Gold : Des décisions ont été prises par le passé et aujourd’hui pour déterminer quelles images apparaissent sur notre passeport. Les images que vous avez mentionnées sont importantes, mais il y en avait beaucoup d’autres qui étaient invisibles dans le design qui existait auparavant. La décision a été prise pour faire en sorte que le passeport reflète beaucoup mieux le Canada, et pas seulement une seule image en particulier. Le gouvernement comprend qu’il y a de la grogne au sein de certains cercles. Cependant, rappelons-nous que lorsque le dernier passeport a été mis en place avec les images que vous nous avez décrites, il y avait eu aussi de la grogne au pays, car certains ne se reconnaissaient pas dans ces images. Il y aura donc toujours des opinions divergentes sur les symboles utilisés. Le gouvernement a fait un choix et il a suivi les règles pour faire en sorte que le passeport soit plus inclusif et qu’il reflète davantage la diversité de notre pays.

[Traduction]

Les finances

L’abordabilité pour les Canadiens

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, j’ai été heureux d’entendre hier que vous reconnaissez les difficultés que vivent les Canadiens, notamment en ce qui concerne la montée en flèche du prix des aliments et du coût des logements.

Incidemment, j’ai été encore plus heureux de voir, également hier, l’honorable Pierre Poilievre présenter un projet de loi intitulé « Loi visant à construire des logements et à combattre la bureaucratie ». Le gouvernement dit qu’il ne percevra pas la TPS sur la construction de nouveaux immeubles locatifs, mais inversement, il menace d’imposer une taxe supplémentaire, prétendument dans le but de lutter contre l’inflation fulgurante du prix des produits alimentaires avec laquelle les Canadiens sont aux prises en raison de sa mauvaise gestion des finances.

Pouvez-vous m’expliquer la chose, sénateur Gold? En quoi l’ajout d’une nouvelle taxe qui sera refilée aux consommateurs aidera-t-il à réduire le prix des aliments pour les Canadiens qui devront choisir entre se nourrir et chauffer leur logement cet hiver?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénateur Housakos. En réalité, le gouvernement n’a pas instauré une taxe. Il a simplement invité les dirigeants des cinq plus grandes chaînes d’épiciers à lui présenter un plan qu’ils auront développé. La crédibilité et l’efficacité de ce plan seront évaluées.

On peut au moins reconnaître que le gouvernement du Canada se sert des leviers à sa disposition dans le cadre de sa compétence, contrairement à M. Poilievre, qui attaque les municipalités et veut les punir dans des secteurs de compétence provinciale.

Le sénateur Housakos : Oui, nous connaissons le modus operandi des libéraux. On appelle cela des exercices de relations publiques. Ils font venir les épiciers à Ottawa et ils leur disent : « C’est à vous de régler le problème »; tout cela à cause de l’incompétence de votre gouvernement. C’est le même gouvernement qui, il y a six ans, a promis en campagne électorale d’éliminer la TPS dans le secteur de la construction de logements locatifs au Canada. C’était il y a six ans. Quelle façon d’essayer constamment de faire du rattrapage!

(1450)

La vérité, c’est que lorsque vous imposez une taxe sur le carbone qui va pénaliser les Canadiens de la classe moyenne et les travailleurs qui peinent à chauffer leur maison, à chausser leurs enfants, et à acheter de l’essence pour conduire ces derniers à l’école, vous provoquez directement de l’inflation et une augmentation du coût de la vie, et votre gouvernement reste les bras croisés. Tout ce que vous avez à faire, c’est de suspendre cette taxe.

Je sais que le gouvernement adore mettre la main dans les poches des Canadiens, mais il faut suspendre cette taxe afin de leur donner un peu de répit.

Son Honneur la Présidente : Sénateur Housakos, avez-vous une question à poser?

Le sénateur Housakos : Le gouvernement s’engagera-t-il à éliminer la taxe sur le carbone?

Le sénateur Gold : Sénateur Housakos, tout comme certains de vos collègues, vous avez posé cette question à maintes reprises. Or, on me reproche de trop m’appesantir si je m’attarde à expliquer les avantages et les bienfaits de la taxe sur le carbone, comme vous l’appelez, et, lorsque je m’efforce de répondre de manière concise dans les délais que les leaders jugent adéquats, on me reproche de ne pas donner de réponse.

Je viens de prendre environ 30 secondes pour vous répondre que non, le gouvernement n’a pas l’intention d’éliminer la tarification du carbone.

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, vous vous souvenez peut-être que, au printemps dernier, je vous ai posé une série de questions sur l’impartition menée en secret de l’administration du programme de prêts aux petites entreprises du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes à la société d’experts-conseils Accenture. Le 30 mai et le 13 juin, je vous ai posé des questions qui restent sans réponse, notamment : qui a pris la décision de cacher ces contrats à fournisseur unique au Parlement et aux contribuables, et quand les ministres Freeland et Ng ont-elles appris qu’Accenture administrait le programme?

Monsieur le Leader, quelles sont les réponses à ces questions?

Pouvez-vous également nous dire à combien s’élève le montant total versé à Accenture?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et, encore une fois, je regrette que les réponses demandées n’aient pas encore été fournies. Je ferai assurément un suivi et mettrai tout en œuvre pour obtenir des réponses.

La sénatrice Martin : Il est certes décevant que nous n’ayons pas été en mesure d’obtenir les réponses à ces questions. Comme vous le savez certainement, le premier ministre a fait une annonce la semaine dernière au sujet des prêts du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. La date limite de remboursement des prêts assortis d’une radiation partielle est maintenant reportée au 28 mars 2024. Or, selon une réponse différée que j’ai reçue en mai, les contrats avec Accenture sont censés arriver à échéance en janvier et février 2024.

Monsieur le leader, étant donné qu’Accenture se charge du recouvrement des prêts, pouvez-vous nous dire si la durée des contrats a été prolongée et, le cas échéant, combien cela coûtera? Pourriez-vous également nous dire si le gouvernement Trudeau a consulté Accenture au sujet du report de cette échéance avant l’annonce faite par le premier ministre la semaine dernière?

Le sénateur Gold : Le report de la date limite pour le remboursement des prêts aux Canadiens est un exemple qui montre que le gouvernement est sensible au fait que, même si les paiements étaient nécessaires pour des milliers d’entreprises et qu’ils étaient même essentiels pour aider celles-ci à traverser cette crise économique, bon nombre de ces entreprises ont de la difficulté à rembourser ces prêts en raison de certaines circonstances. C’est pourquoi le gouvernement a reporté la date limite afin que les entreprises aient plus de temps pour rembourser les prêts et profiter des avantages offerts par le programme.

Le patrimoine canadien

La Loi sur les nouvelles en ligne

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, quelques mois à peine après que le Sénat a consenti à adopter un projet de loi du gouvernement malgré les avertissements de l’opposition qu’il aurait l’effet contraire à celui souhaité, nos prévisions se sont réalisées. Nous avions dit que, au lieu de sauver les médias, le projet de loi C-18 en sonnerait le glas, en particulier pour ce qui est des médias locaux et des petits médias. Malgré nos avertissements, la Loi sur les nouvelles en ligne a été adoptée, et voici où nous en sommes, sénateur Gold.

Facebook n’a pas tardé à mettre sa menace à exécution, une menace dont vous et votre gouvernement vous êtes moqués. Fidèle à sa promesse, il s’est retiré du secteur de l’information au Canada. Google semble prêt à lui emboîter le pas très bientôt.

Qu’est-ce que nous a donné cette initiative, sénateur Gold? Cette semaine, nous avons appris que Torstar Corporation mettait fin aux éditions imprimées des journaux de Metroland Media, groupe dont elle propriétaire, et qu’elle ne verserait même pas d’indemnités de départ aux gens qui ont perdu leur emploi. Votre gouvernement croit-il que le projet de loi C-18 remplit bien son objectif de sauver les médias canadiens?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Une des raisons qui ont mené à l’adoption du projet de loi C-18 était la reconnaissance que les médias traditionnels éprouvent de grandes difficultés face à l’évolution de l’environnement et que les géants, dont les deux que vous avez mentionnés, engrangent des profits sans verser une contribution équitable.

Le gouvernement a toujours su que les géants du numérique allaient se servir de leur forte présence dans le marché pour essayer de nous intimider et de nous empêcher de les obliger à négocier des ententes équitables avec les grands et les petits médias d’information canadiens. Ils semblent agir conformément à ce que semble être leur nature et le gouvernement du Canada a la ferme intention de faire la bonne chose pour le Canada et il continuera à le faire malgré les tactiques d’intimidation des géants du Web.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté le 7 décembre 2021, je souhaite aviser le Sénat que la période des questions avec l’honorable Mark Holland, c.p., député, ministre de la Santé, aura lieu le mardi 26 septembre 2023, à 17 heures.

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose que le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution). Ce projet de loi vise à durcir les dispositions législatives du Canada sur la mise en liberté sous caution afin de répondre aux préoccupations entourant la sécurité publique et la confiance de la population envers le système de justice dans les cas d’infractions avec violence, de violence entre partenaires intimes et d’infractions commises avec des armes à feu et d’autres armes.

[Français]

Le système de mise en liberté sous caution veille à ce que les personnes accusées d’infractions pénales se présentent au tribunal pour faire face aux accusations portées contre elles. En théorie, la manière la plus infaillible d’y parvenir serait de simplement détenir une personne dès son arrestation jusqu’à son procès. Il demeure toutefois un principe fondamental de notre système de justice pénale : la présomption d’innocence jusqu’à preuve du contraire. Ce principe est inscrit à l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés, soit le même article qui protège le droit, et je cite :

e) de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable;

Ainsi, toute mesure limitant l’accès à la libération sous caution ou augmentant la probabilité d’une détention avant le procès doit être prise avec prudence et retenue, de manière ciblée et pour des raisons impérieuses.

Le gouvernement — avec la contribution considérable des provinces, des territoires, des organisations autochtones et d’autres partenaires — a élaboré le projet de loi C-48 en gardant ces considérations à l’esprit.

Par conséquent, le projet de loi vise étroitement les récidivistes violents, pour la raison impérieuse de protéger les communautés canadiennes.

[Traduction]

Actuellement, la mise en liberté sous caution peut être refusée pour trois raisons : premièrement, garantir la présence de l’accusé au tribunal; deuxièmement, protéger le public; troisièmement, maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.

Lorsqu’ils décident d’accorder ou non la mise en liberté sous caution ou d’en imposer les conditions, les tribunaux sont tenus de :

[chercher] en premier lieu à mettre en liberté le prévenu à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possible dans les circonstances [...]

Dans l’ensemble, les ministres de la Justice du Canada conviennent que ces lignes directrices nous servent bien et que le système de mise en liberté sous caution fonctionne correctement dans la plupart des cas. Cependant, des inquiétudes ont été soulevées quant à la nécessité de recentrer le système actuel afin de mieux protéger le public. Cette préoccupation a notamment été formulée en janvier dernier dans une lettre adressée au premier ministre par tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux et a fait l’objet de nombreuses discussions entre les différents ordres de gouvernement.

Il s’agit d’un domaine de compétence partagée. Les lois sur la mise en liberté sous caution sont définies par le gouvernement fédéral dans le Code criminel, mais sont généralement mises en œuvre par les provinces et les territoires.

(1500)

Lors de récentes réunions, le ministre de la Justice fédéral ainsi que ses homologues provinciaux et territoriaux ont tous reconnu leur responsabilité et ont convenu de faire leur part. En ce qui concerne les provinces et les territoires, cela signifie améliorer l’application des lois existantes, mieux utiliser les outils juridiques disponibles et recueillir de meilleures données sur la mise en liberté sous caution. Au niveau fédéral, il s’agira d’envisager des changements législatifs, comme ceux qui sont proposés dans le projet de loi C-48.

Cette mesure législative prévoit les cinq changements suivants : l’ajout dans la loi d’une disposition de l’inversion du fardeau de la preuve dans le cas de récidives avec violence impliquant des armes; l’ajout de certaines infractions commises avec des armes à feu aux dispositions qui déclencheraient l’inversion du fardeau de la preuve; l’élargissement de la disposition de l’inversion du fardeau de la preuve dans les cas de violence entre partenaires intimes; la précision de la signification d’une ordonnance d’interdiction aux fins d’une disposition existante de l’inversion du fardeau de la preuve; enfin, l’ajout de nouvelles considérations et exigences pour les tribunaux.

Je commencerai par parler de la notion d’inversion du fardeau de la preuve avant de me pencher sur chaque élément en détail. Dans la plupart des cas, on présume au départ que l’accusé sera libéré en attendant son procès et qu’il incombe à la poursuite de justifier pourquoi il faudrait refuser la mise en liberté sous caution. L’inversion du fardeau de la preuve signifie qu’on présume au départ que l’accusé restera en détention en attendant son procès et que c’est à lui de justifier pourquoi il devrait être libéré sous caution.

À l’heure actuelle, le fardeau de la preuve est inversé pour le meurtre et la tentative de meurtre ainsi que pour certaines infractions concernant le trafic de drogues et d’armes, les armes à feu, le terrorisme et la violence entre partenaires intimes. La Cour suprême a validé la constitutionnalité de l’inversion du fardeau de la preuve dans des cas très précis, notamment dans l’affaire R. c. Pearson en 1992. Fait essentiel, même lorsque le fardeau de la preuve est inversé, le tribunal conserve le plein pouvoir d’accorder ou de refuser la mise en liberté sous caution et d’imposer des conditions à sa discrétion.

Comme je l’ai dit il y a un instant, la première disposition d’inversion du fardeau de la preuve contenue dans le projet de loi C-48 concerne les récidivistes accusés d’une infraction avec violence et d’usage d’une arme. Cette disposition ne s’appliquerait que si les conditions suivantes sont remplies : premièrement, il doit y avoir eu usage, tentative ou menace de violence à l’aide d’une arme dans la perpétration de l’infraction présumée; deuxièmement, l’infraction doit être passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou plus; troisièmement, l’accusé doit avoir été condamné pour une autre infraction commise à l’aide d’une arme passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans ou plus dans les cinq années précédentes.

Ces critères visent précisément les récidivistes violents qui sont les plus préoccupants du point de vue de la sécurité publique. De plus, comme l’ont expressément demandé les gouvernements du Manitoba et de la Saskatchewan, ils couvrent toutes les infractions graves commises à l’aide d’une arme, y compris les armes à feu, les armes blanches et les vaporisateurs chasse-ours, lesquels, selon ce que je comprends, suscitent beaucoup d’inquiétudes dans ces provinces depuis quelque temps.

La deuxième modification proposée par le projet de loi C-48 élargirait la liste actuelle des dispositions portant inversion du fardeau de la preuve qui s’appliquent aux infractions liées aux armes à feu afin d’y inclure : la possession illégale d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée ou d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte non chargée lorsque les munitions sont facilement accessibles; l’introduction par effraction pour voler une arme à feu; le vol qualifié visant une arme à feu; la modification d’une arme à feu pour en faire une arme automatique.

Ces infractions témoignent d’un comportement qui peut nuire considérablement à la sécurité publique. Il convient de noter que la première d’entre elles, l’infraction visant la possession illégale, répond directement à l’appel des 13 premiers ministres provinciaux, tel qu’énoncé dans leur lettre de janvier au premier ministre, et à l’appel de partenaires des forces de l’ordre.

[Français]

Le projet de loi C-48 renforcerait également la disposition actuelle relative au renversement du fardeau de la preuve pour les personnes accusées de violence contre un partenaire intime. Comme plusieurs sénatrices et sénateurs s’en souviendront, ce renversement du fardeau de la preuve a été instauré au moyen du projet de loi C-75, qui a reçu la sanction royale en juin 2019. Il s’applique aux personnes accusées de violence contre un partenaire intime qui ont déjà été reconnues coupables d’une infraction similaire, en reconnaissance du fait que les femmes qui dénoncent un partenaire violent s’exposent souvent à un risque plus élevé en le faisant.

Le projet de loi C-48 élargirait cette disposition afin qu’elle s’applique non seulement aux personnes déjà reconnues coupables de violence contre un partenaire intime, mais également à celles qui ont déjà été libérées pour une telle infraction. Une absolution est un constat de culpabilité, mais pas une condamnation; cela signifie souvent que l’accusé peut éviter d’avoir un casier judiciaire en respectant certaines conditions. Il s’agit là d’un outil potentiellement utile pour les juges qui se prononcent sur la peine dans certains cas, mais aux fins d’évaluation du risque, le gouvernement estime qu’une absolution antérieure pour violence contre un partenaire intime devrait être traitée de la même manière qu’une condamnation précédente. Dans les deux cas, un verdict de culpabilité a été rendu et l’accusé pourrait présenter un risque élevé de récidive s’il était libéré.

Je souligne également que cet élément du projet de loi C-48 est comparable à un article du projet de loi S-205, parrainé par le sénateur Boisvenu, que nous avons adopté en avril dernier et qui est actuellement à l’étude à l’autre endroit.

[Traduction]

La quatrième proposition importante du projet de loi C-48 permettrait de mieux définir l’ordonnance d’interdiction à l’étape de la mise en liberté sous caution dans le cadre de procédures criminelles. À l’heure actuelle, l’inversion du fardeau de la preuve s’applique aux personnes accusées d’infractions liées aux armes qui étaient visées par une ordonnance leur interdisant de posséder une arme au moment de l’infraction. Autrement dit, si un tribunal a déjà interdit à une personne d’avoir une arme à feu et que cette personne commet une infraction liée à une arme, il s’agira d’un facteur aggravant lorsqu’on évaluera la possibilité de mise en liberté sous caution.

Le projet de loi C-48 permettrait d’indiquer clairement qu’on doit appliquer la même approche aux personnes qui commettent une infraction liée à une arme alors qu’elles sont en liberté sous caution, lorsque l’une des conditions de cette mise en liberté était l’interdiction de posséder une arme. Si cela semble être un point de détail, bien honnêtement, c’est parce que c’en est un. Il s’agit essentiellement de codifier le concept d’ordonnance d’interdiction dans la common law. Il est peu probable que cela changera la façon dont la loi est appliquée à l’heure actuelle, mais en droit criminel — y compris, bien sûr, dans le Code criminel —, la précision est d’or. Le projet de loi expliciterait donc ce concept.

Le dernier élément du projet de loi C-48 porte sur l’approche que doivent prendre les tribunaux au moment de décider s’il convient d’accorder une mise en liberté sous caution. En 2019, le projet de loi C-75 a modifié le Code criminel de sorte qu’avant de rendre une ordonnance de mise en liberté sous caution, les tribunaux doivent tenir compte de tout facteur pertinent, y compris si le prévenu a antérieurement été condamné pour une infraction criminelle ou s’il est accusé d’une infraction perpétrée avec usage de violence contre un partenaire intime.

Le projet de loi C-48 irait un peu plus loin en exigeant expressément que les tribunaux vérifient si l’accusé a déjà commis des crimes violents. De plus, le juge devrait déclarer officiellement avoir pris en compte la sécurité de la collectivité dans sa décision.

À l’heure actuelle, même si cela fait généralement partie du processus décisionnel de la plupart des juges, la loi oblige seulement les tribunaux à tenir compte de la sécurité de la victime. Ce changement répondrait aux préoccupations soulevées par certaines municipalités ainsi que certaines communautés autochtones.

Laissez-moi vous donner un exemple. L’an dernier, il y a eu une affaire dans laquelle un homme ayant des antécédents d’infractions sexuelles avec violence devait être mis en liberté sous caution dans la localité d’Old Crow, au Yukon. Il y a eu une levée de boucliers de la part de la Première Nation des Gwitchin Vuntut. Au bout du compte, la décision a été modifiée et il a été envoyé à Whitehorse. Selon la nouvelle disposition du projet de loi C-48, ce genre de considération à l’égard de la communauté devra faire partie du processus décisionnel.

Voilà le contenu de cette mesure législative, honorables sénateurs. Comme je l’ai dit dès le départ, elle est conçue pour être très ciblée et répondre à des préoccupations en matière de sécurité, comme celles soulevées par les provinces et les territoires, tout en respectant les droits garantis par la Charte. Ce projet de loi fait partie d’un effort national visant à renforcer le système de mise en liberté sous caution en collaboration avec d’autres ordres de gouvernement. C’est un projet de loi qui reflète une grande participation de la part des provinces et des territoires.

Comme je l’ai dit plus tôt, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont participé à ce dossier. Récemment, les provinces de l’Ontario et du Manitoba ont annoncé qu’elles s’engageaient notamment à améliorer les mesures de conformité en matière de mise en liberté sous condition. La Colombie-Britannique a fait d’importants investissements afin de renforcer l’application de la loi et d’améliorer les interventions auprès des récidivistes violents.

(1510)

Par-dessus tout, les provinces et les territoires se sont engagés à améliorer la collecte des données, car il faut se le dire, les données actuelles laissent sérieusement à désirer. Comme vous le savez, chers collègues, ce n’est pas la première fois qu’une telle situation se produit, et c’est encore plus vrai dans le domaine de la justice pénale, car le système est administré par chaque province ou territoire. Les plus récents budgets fédéraux prévoyaient des investissements destinés à améliorer la collecte de données, y compris de données désagrégées, et le gouvernement espère que les promesses des provinces concernant les mises en liberté sous caution porteront leurs fruits.

J’attire également votre attention, chers collègues, sur le fait que le projet de loi C-48 prévoit un examen parlementaire après cinq ans. J’imagine que le Parlement sortira gagnant si les données qui seront alors disponibles sont de meilleure qualité.

J’insiste également sur le fait que la réforme des mises en liberté sous caution a aussi été discutée avec les représentants de divers organismes autochtones nationaux et des peuples autochtones en général, dont l’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami, le Ralliement national des Métis, l’Association du Barreau autochtone, l’Assemblée des chefs du Manitoba, la Fédération des nations autochtones souveraines de Saskatchewan et j’en passe. Leurs commentaires ont largement inspiré l’approche législative retenue dans le but de protéger les communautés autochtones des crimes violents sans perdre de vue la nécessité de s’attaquer à la surreprésentation des Autochtones au sein de l’appareil judiciaire pénal.

Chers collègues, le rôle des sénateurs consiste à représenter les régions du Canada. Le projet de loi C-48 est une mesure législative qu’appuient toutes les provinces et tous les territoires. En fait, tous leurs premiers ministres l’ont expressément réclamée. Avec le projet de loi C-48, le gouvernement répond à leur appel.

Les récidives violentes et les infractions commises avec des armes à feu ou d’autres armes doivent être prises au sérieux. Le projet de loi C-48 propose des mesures concrètes au niveau fédéral pour renforcer le régime de mise en liberté sous caution et répondre aux préoccupations en matière de sécurité publique d’une manière qui respecte la Charte, le pouvoir discrétionnaire des juges et les principes fondamentaux de la justice qui définissent le régime pénal canadien.

L’autre endroit a adopté le projet de loi aussitôt qu’il l’a pu. Il l’a débattu et adopté lundi dernier, lors de son premier jour de séance de l’automne. Je prie mes honorables collègues d’entendre l’appel à l’action pressant des provinces et des territoires et de reconnaître le sentiment d’urgence exprimé par les députés en faisant progresser le projet de loi C-48 sans tarder.

Là-dessus, je vous remercie.

L’honorable Denise Batters : Sénateur Gold, si le projet de loi C-48 sur la réforme de la mise en liberté sous caution avait été en vigueur au cours des cinq dernières années, combien de criminels seraient restés derrière les barreaux plutôt que d’être mis en liberté sous caution? D’après vos explications, ce projet de loi du gouvernement Trudeau a une portée très limitée. Je présume donc que le nombre réel de délinquants auxquels il s’appliquerait en réalité serait infime.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. De toute évidence, il est primordial de se questionner sur l’incidence de ce projet de loi — ou sur ce qu’elle aurait pu être. Je ne vais pas me cacher derrière des suppositions puisque le projet de loi n’était pas en vigueur.

Toutefois, j’aimerais porter à l’attention du Sénat, comme je l’ai indiqué brièvement, que, pour un certain nombre de raisons, nous n’avons pas les données nécessaires. Les décisions de mise en liberté sous caution ne sont pas toutes consignées, puis celles qui le sont n’entraînent pas nécessairement la collecte, la ventilation et l’analyse des données à l’échelon provincial. Certaines de ces décisions sont prises par un juge de paix et elles ne laissent aucune trace. Par ailleurs, il n’y a aucun système en place à ce jour pour recueillir toutes les données — même si elles seraient incomplètes dans l’état actuel des choses — et les analyser.

Grâce à ce projet de loi et, bien sûr, à l’engagement des provinces et des territoires à apporter leur contribution dans leurs champs de compétence, il est à espérer que nous aurons accès à un ensemble de plus en plus complet de données et qu’en tant que parlementaires, nous serons en mesure de répondre à ces questions avec plus de certitude — que ce soit dans cinq ans, dans le cadre de l’examen parlementaire ou, dans l’intervalle, dans le cadre d’une étude approfondie en comité.

Il est aussi important de comprendre que les dispositions prévoyant l’inversion du fardeau de la preuve se situent dans le contexte des principes fondamentaux du système de justice pénale, conformément aux protections et garanties reflétées dans la Charte des droits. C’est donc dire que, peu importe s’ils composent ou non avec une disposition prévoyant l’inversion du fardeau de la preuve, les juges ont encore la liberté d’accorder ou de refuser une demande de mise en liberté sous caution ou d’imposer les conditions qu’ils considèrent nécessaires dans l’intérêt la sécurité publique.

Le gouvernement du Canada et l’ensemble des provinces et des territoires sont d’avis que les mesures proposées contribueront à renforcer le système de mise en liberté sous caution et à mieux protéger les collectivités canadiennes. Pour savoir si elles auront effectivement cet effet, il faudra analyser leurs conséquences réelles, ce qui nécessitera un solide engagement envers la collecte et l’analyse des données.

La sénatrice Batters : Le ministère de la Justice a probablement ces renseignements ou, du moins, devrait vraiment les avoir lorsqu’il rédige un projet de loi de ce genre. Ce que nous regardons, en fait, ce sont les genres d’infractions et le nombre d’années d’emprisonnement que chacune pourrait entraîner. Si vous ne connaissez pas la réponse, ce n’est pas un problème, mais pourriez‑vous l’obtenir dès que possible, surtout que vous espérez faire adopter ce projet de loi très rapidement? Après tout, vous êtes parrain du projet de loi au Sénat et leader du gouvernement au Sénat.

Le ministère de la Justice a sûrement fait une évaluation pour déterminer combien d’infractions pourraient être couvertes par un projet de loi de ce genre. Pourriez-vous nous fournir ces renseignements dès que possible?

Le sénateur Gold : Encore une fois, le ministère de la Justice ne dispose que des renseignements qu’il est en mesure de rassembler à partir des données fournies par les provinces ou disponibles auprès d’elles. Je ne prétendrai pas que ces informations sont exhaustives.

Toutefois, nous étudierons ce projet de loi en comité. Le ministre sera présent, ainsi que les fonctionnaires, et nous aurons l’occasion, grâce à l’étude du projet de loi, de répondre à ces questions d’une manière plus détaillée que je ne peux le faire aujourd’hui.

Encore une fois, il est important, chers collègues, de se rappeler que pour que ce projet de loi satisfasse au critère établi par la Cour suprême et aux exigences de la Charte, il faut choisir et viser, dans le contexte d’une disposition d’inversion du fardeau de la preuve, des éléments qui sont rédigés de façon très précise et qui sont jugés nécessaires pour promouvoir les objectifs du système de mise en liberté sous caution, à savoir protéger la sécurité publique, s’assurer que les contrevenants comparaissent, et promouvoir et protéger la confiance du public. À cet égard, le gouvernement est convaincu qu’il a ciblé les types d’infractions de manière appropriée et conforme aux principes fondamentaux de justice.

L’honorable Paula Simons : Sénateur Gold, durant ma carrière de journaliste, j’ai couvert des crimes terribles qui avaient été commis par des personnes qui avaient été mises en liberté sous caution. Je comprends donc l’élan émotionnel et politique qui pousse à accélérer l’adoption de ce projet de loi. Toutefois, je suis préoccupée par la vitesse à laquelle les choses évoluent, car nous traitons d’une question où des libertés fondamentales sont en jeu. Comme vous l’avez si éloquemment expliqué, nous jouissons au Canada de la présomption d’innocence, alors nous n’utilisons les dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve que dans des cas très particuliers, en raison, justement, de cette présomption d’innocence.

Compte tenu de l’état de nos centres de détention provisoire, qui ne sont pas des endroits agréables et qui sont remplis à craquer, et compte tenu des retards de notre appareil judiciaire, l’Association canadienne des libertés civiles s’est inquiétée du fait que l’élargissement des dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve pourrait amener des personnes à plaider coupable simplement pour accélérer leur passage à un endroit moins inconfortable que les centres de détention provisoire.

J’ai deux questions à vous poser. Premièrement, quelles assurances avons-nous que cela n’aura pas pour effet de remplir encore plus les centres de détention provisoire, d’engorger encore plus les tribunaux et d’inciter les gens à plaider coupable afin de sortir des limbes de la détention provisoire? Deuxièmement, étant donné le rythme auquel les choses évoluent, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles aura-t-il la latitude nécessaire pour mener une étude en bonne et due forme, ce qui n’a pas été autorisé à la Chambre des communes?

Le sénateur Gold : Merci. Vous soulevez des points importants.

Comme on peut s’y attendre, le gouvernement est bien au fait des réserves qui ont été exprimées non seulement par l’Association canadienne des libertés civiles, mais également par la Société Elizabeth Fry et la Société John Howard. De toute évidence, il importait notamment de veiller à ce que la portée des mesures que renferme le projet de loi — les modifications ou, dans certains cas, les rajustements qui s’y trouvent — soit la plus étroite et la plus ciblée possible, à la fois pour respecter la Charte, aussi fondamental cela soit-il, mais également pour réduire autant que possible les effets collatéraux et les répercussions.

(1520)

L’inquiétude au sujet de la surreprésentation des personnes autochtones, marginalisées et racisées est bien réelle; le gouvernement l’a prise très au sérieux comme le montrent les nombreuses mesures qu’il a déjà mises de l’avant, notamment en ce qui concerne les peines minimales obligatoires. Cette question était aussi au cœur des discussions que nous avons eues avec un grand nombre d’intervenants pendant l’élaboration du projet de loi.

Le Sénat ne précipite pas l’étude de ce projet de loi. L’autre endroit a décidé de l’adopter d’un seul coup, et ce n’était pas à l’initiative du gouvernement. Lorsque la motion a été présentée, tous les députés — de l’ensemble des partis, à l’unanimité — l’ont appuyée pour des raisons qui leur appartiennent. En passant, je pense qu’ils ont procédé ainsi parce qu’ils avaient conscience de l’importance de cet enjeu pour la population, les territoires, les provinces et les responsables de l’administration de la justice.

Au Sénat, nous ferons notre travail. Comme beaucoup le savent maintenant, ce projet de loi sera renvoyé au Comité des affaires juridiques, lequel élaborera son plan de travail et gérera ses travaux de la manière qu’il juge appropriée. Je suis convaincu que le comité et le Sénat accorderont au projet de loi toute l’attention qu’il mérite, que nous entendrons des témoins qui l’appuient et d’autres qui s’y opposent et que nous ferons notre travail comme il se doit. Tout ce que je demande aux sénateurs, c’est de garder l’esprit ouvert et je les invite à suivre les travaux du comité, s’ils le veulent bien, de sorte que notre débat à l’étape de la troisième lecture soit aussi éclairé que possible une fois que le comité aura fait rapport de son étude du projet de loi.

Cela dit, il est important, pour les 13 provinces et territoires, les parties intéressées et les collectivités, que nous fassions notre travail adéquatement et diligemment, car il s’agit d’une question de sécurité publique et d’importance publique.

L’honorable Percy E. Downe : Sénateur Gold, je m’inquiète de l’adoption précipitée du projet de loi à la Chambre des communes et de son renvoi au Sénat sans qu’un seul examen soit mené à la Chambre. Comme nous le savons tous, le Sénat est souvent critiqué, mais nous nous trouvons maintenant dans une situation où ce que nous appelons « l’autre endroit », c’est-à-dire la Chambre des communes, n’a tout simplement pas fait son travail. Elle nous a renvoyé le projet de loi sans l’examiner. Le Sénat en est maintenant saisi. Sachant cela, il se peut que nous ayons besoin de beaucoup plus de temps que d’habitude, car, comme vous le savez, nous vérifions les comptes rendus et les audiences de l’autre endroit. Nous partons vraiment de zéro dans ce cas-ci. Je présume que vous conviendrez que nous avons besoin de plus de temps que d’habitude.

Le sénateur Gold : Les projets de loi diffèrent tous les uns des autres, car chacun porte sur un enjeu distinct et suscite des points de vue différents qui, à juste titre, doivent être pris en compte. Par conséquent, je ne sais pas comment on traite habituellement un projet de loi très court comme celui-ci, dont j’ai néanmoins exposé les principes avec exactitude, à votre satisfaction je l’espère. Le gouvernement a fait le choix stratégique, en consultation avec tous les gouvernements provinciaux et avec d’autres parties prenantes, d’apporter des changements additionnels à la réforme du régime actuel de mise en liberté sous caution, laquelle prévoit déjà certaines mesures dont l’inversion du fardeau de la preuve dans le cas de crimes graves. Ces changements sont simplement des ajouts qui, à certains égards, améliorent ou parachèvent le travail que le Sénat a déjà fait en 2019 sur divers projets de loi dont j’ai fait mention.

Je suis convaincu que le comité entendra les témoins voulus et que tous les points de vue seront examinés comme il se doit. Les sénateurs auront la possibilité de poser des questions non seulement au ministre et aux fonctionnaires, mais également à des intervenants qui ont différents points de vue. Je suis persuadé que le débat dans cette enceinte sera aussi vigoureux que nous le souhaiterons.

Le sénateur Downe : Eh bien, chers collègues, les députés ont failli à leur tâche. En effet, celle-ci ne consiste pas à épater la galerie pendant la période des questions afin que leurs propos soient repris par les médias. Leur tâche consiste à étudier les mesures législatives dont ils sont saisis. C’est également la tâche qui nous incombe. Je rappellerai aux nouveaux sénateurs que lorsque je suis arrivé au Sénat, nous étions dans une situation très similaire, sachant que nous devions étudier la Nouvelle Charte des anciens combattants. Le texte a été adopté par la Chambre des communes en deux minutes avant d’être renvoyé au Sénat, qui n’a pas fait son travail. Celui-ci a été adopté après cinq heures de débat au total. La majeure partie du débat, soit environ 4 heures et 50 minutes, a eu lieu au Sénat. Ce n’est que des années plus tard que le directeur parlementaire du budget nous a informés que les modifications apportées avaient entraîné la perte de millions de dollars en prestations aux anciens combattants blessés en servant notre pays ainsi qu’à leurs familles, car le Sénat et la Chambre des communes n’ont pas fait leur travail.

Nous nous trouvons dans une situation très semblable. Il incombe maintenant au Sénat — que l’on critique tant —, de faire le travail que la Chambre des communes n’a pas fait. Je sais que mes collègues du comité et l’ensemble de cette institution s’attelleront à cette tâche. Je comprends donc votre point de vue, sénateur Gold, et je vous demanderai ceci : Pouvez-vous nous dire que nous disposerons du temps nécessaire pour faire notre travail qui consiste à s’assurer que cette mesure législative ne pénalisera pas les Canadiens, contrairement à d’autres mesures législatives adoptées à la hâte tant par la Chambre des communes que par le Sénat?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question et de vos observations.

Je fais confiance au Sénat. Je fais confiance au comité, qui saura élaborer un plan de travail qui correspond au projet de loi : à son contenu, aux questions qu’il soulève et à son importance. Je suis persuadé que le Sénat saura trouver l’équilibre — comme il l’a toujours fait, du moins de nos jours — entre l’importance du projet de loi et l’appui que lui donnent ceux qui doivent s’y adapter — les Autochtones et d’autres populations, ainsi que les provinces et les territoires. Il doit aussi tenir compte du fait que, de par la Constitution, le Sénat doit effectuer un examen critique en bonne et due forme de la mesure législative dont il est saisi. C’est ce qui nous attend, et je suis persuadé que nous réussirons à faire ce que les Canadiens s’attendent de nous.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Sénateur Gold, dans votre discours, vous avez parlé de victimes de violence et de partenaires intimes. Vous avez parlé de gens qui ont une histoire d’offenses sexuelles, et donc de violence sexuelle.

Au moment où vous avez fait référence aux organismes qui ont été consultés par le gouvernement pour rédiger le projet de loi C-48, j’ai entendu que vous aviez consulté les gouvernements, les territoires et quelques associations nationales autochtones. J’ai peut-être mal compris ce que vous avez dit, mais je ne vous ai pas entendu mentionner, par exemple, des associations nationales comme l’Association des femmes autochtones du Canada. Pourtant, on s’entend pour dire que, quand on parle de violence intime, les victimes sont souvent des femmes.

Pouvez-vous préciser quelles organisations nationales de femmes ont été consultées pour ce projet de loi?

Le sénateur Gold : Premièrement, je n’ai pas de liste complète et je m’en excuse. On m’a informé qu’il y a eu des discussions et des consultations non seulement avec les organisations nationales que j’ai mentionnées, mais aussi avec plusieurs autres. Encore une fois, je vous invite à poser cette question aux ministres et aux dirigeants dès qu’ils comparaîtront devant le comité.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Ma question va dans le même sens que les questions précédentes, sénateur Gold.

C’est le rôle du Sénat d’étudier attentivement tous ces projets de loi, surtout ceux qui renversent le fardeau de la preuve. Ne croyez‑vous pas que ce fardeau est encore plus grand aujourd’hui? La Chambre des communes a adopté ce projet de loi sans convoquer un réel comité plénier; il n’y a pas eu de mémoires ni de témoins et le projet de loi a été adopté en une journée.

Dans un tel cas, n’est-il pas nécessaire pour nous de faire une revue qui prendra plus de temps que d’habitude et de recueillir des mémoires, notamment de la part de l’Association du Barreau canadien, du Barreau du Québec, de l’Association des avocats en droit criminel et de l’Association canadienne des libertés civiles, qui est citée dans le Globe and Mail d’aujourd’hui et qui s’est plainte du fait qu’elle n’a pas été consultée et qu’elle n’a même pas eu le temps de se préparer?

N’y aurait-il pas lieu de ralentir la cadence? D’ailleurs, si la Chambre des communes pensait que ce projet de loi était une affaire urgente, elle aurait pu l’adopter avant le 22 juin. Elle l’a adopté en revenant dès la première journée. Nous aurions pu travailler sur cette question cet été.

Le sénateur Gold : Au risque de me répéter, c’est au comité de décider comment procéder à l’étude de ce projet de loi.

(1530)

Je porte deux chapeaux : celui de parent et celui de représentant du gouvernement. J’aurai des suggestions à faire aussi pour ce qui est des témoins, comme les autres membres du comité sans doute. Comme je l’ai déjà dit au sénateur Downe, il faut prendre le temps nécessaire, compte tenu des enjeux soulevés. Oui, c’est toujours intéressant et important de consulter de temps en temps les témoignages des comités de l’autre endroit. Cependant, selon mon expérience de presque sept ans au Sénat, nous n’avons pas très souvent dit qu’ils avaient fait du bon travail et qu’il n’y avait pas grand-chose de plus à faire. Les mêmes témoins comparaissent régulièrement devant nos comités, avec les mêmes mémoires; les mêmes questions sont posées et elles reçoivent les mêmes réponses.

Donc, pour moi, il ne s’agit pas seulement de dire qu’ils n’ont pas fait d’étude. Ils ont pris leur décision et c’est leur prérogative de le faire. Nous avons un travail à faire et je préfère mettre l’accent sur la nécessité d’étudier adéquatement ce projet de loi, peu importe ce qui a été fait à l’autre endroit. Encore une fois, je suis persuadé que nous ferons ce travail comme il se doit. Ce projet de loi est plutôt court, mais il n’en est pas moins important. Ce n’est pas une question quantitative. Ce n’est pas nouveau non plus. Il existe déjà une jurisprudence quant au renversement du fardeau de la preuve. Les tribunaux nous ont fourni certains critères. Nous avons une responsabilité non seulement de procéder adéquatement à l’étude du projet de loi, mais aussi de respecter les paramètres de notre rôle quant aux choix de politiques publiques constitutionnelles qui sont faits, avec l’appui de toutes les provinces et de tous les territoires. Il faut donc trouver un juste équilibre. Encore une fois, j’ai une pleine confiance dans la Chambre et je crois que le comité est dans une bonne position pour étudier le projet de loi.

[Traduction]

L’honorable Brent Cotter : Sénateur Gold, je vous remercie de vos observations et du leadership dont vous faites preuve dans le cadre de l’examen d’un important projet de loi par le Sénat.

Je suis membre du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, où ce projet de loi sera vraisemblablement renvoyé, alors j’aurai un bon nombre d’occasions de l’examiner. Toutefois, j’ai une question que je qualifierais d’institutionnelle pour vous, à la fois en votre qualité de parrain du projet de loi et de leader du gouvernement au Sénat. Vous avez parlé de l’examen quinquennal et avez utilisé, de façon très prudente, à mon avis, le terme « examen par le Parlement ». Or, comme vous le savez, je pense que le projet de loi prévoit un examen par la Chambre des communes.

J’ai sous les yeux l’article en question, soit l’article 2 du projet de loi, qui prévoit un examen par un comité permanent de la Chambre des communes au cinquième anniversaire de la sanction royale.

Cela me semble peu respectueux de cette partie du Parlement, et, à mon avis, comme vous venez de livrer un témoignage de confiance dans le Sénat dans le cadre de votre discours, je me demande si vous pouvez nous parler de ce que je qualifierais d’oubli. J’aimerais connaître votre point de vue à ce sujet, d’autant plus que, si j’ai bien compris, la Chambre des communes n’a pas du tout étudié la question lors du premier examen.

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Il s’agit d’une question pertinente. Je crois en fait qu’elle devrait être approfondie par le comité, puis que l’on devrait demander aux fonctionnaires pourquoi on a choisi de parler non pas du Parlement, mais du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, à qui ce genre de dossier est généralement confié.

L’honorable Mary Jane McCallum : Sénateur Gold, cet été, j’ai assisté à un brunch sur la réforme des mises en liberté sous caution en compagnie des représentants de l’association des policiers et des premiers ministres des provinces et des territoires, et une question m’est passée par la tête. Une des présentatrices a donné l’exemple d’un contrevenant qui a volé une bouteille d’alcool il y a 10 ans et qui est aujourd’hui un criminel endurci. Selon ce qu’on nous a dit, la structure même du système fait en sorte qu’à l’époque, 70 % des détenus dans les prisons provinciales étaient autochtones et que la majorité d’entre eux n’avaient même jamais comparu en cour.

La relation entre les Autochtones, l’administration de la police, les policiers et le système de justice est déjà précaire. Que fera-t-on pour combattre le profilage racial et le racisme? Si rien n’est fait, il y aura toujours autant de criminels, et aucune loi ne pourra changer la donne, même s’il y avait plus de ressources. Voici un exemple que j’aime donner : 80 % des détenus autochtones ont été appréhendés alors qu’ils étaient encore des enfants. Nous devons donc réduire le nombre d’enfants qui sont incarcérés si on veut réduire le nombre de détenus tout court, car nous n’allons pas changer le système pénitentiaire. Que va-t-on faire?

On a notamment mentionné que les personnes incarcérées étaient vraiment bouleversées qu’on dise : « Qu’on les enferme et qu’on jette la clé. » Je dois dire que j’en ai été profondément perturbée. Je vous remercie.

Le sénateur Gold : Merci de votre question, sénatrice. Les déterminants sociaux de la criminalité, la surreprésentation non seulement des Autochtones et des personnes marginalisées, mais aussi des pauvres, de ceux qui n’ont pas accès aux mêmes ressources que d’autres, est un vrai problème, un problème tragique dont nous devrions avoir honte.

Le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les territoires font ce qu’ils peuvent pour fournir de meilleures ressources, qu’il s’agisse de services sociaux ou de choses du genre, mais le travail ne sera jamais terminé. Vous avez donc raison de souligner le désespoir que beaucoup éprouvent lorsqu’ils se retrouvent eux-mêmes dans le système et que la situation va de mal en pis.

Ce projet de loi est une mesure très ciblée concernant les personnes accusées d’infractions, qui énonce les circonstances supplémentaires dans lesquelles ces personnes pourraient avoir à démontrer à la satisfaction d’un juge qu’elles ne représentent pas un risque pour le public en général, leur partenaire ou leur communauté.

Il s’appuie sur la reconnaissance dans la loi, depuis de nombreuses années, du fait que dans certaines circonstances, il est tout à fait approprié, malgré la présomption d’innocence, d’au moins exiger de la personne accusée qu’elle démontre sa volonté et sa capacité à respecter les règles et à se conformer aux conditions qu’on lui a imposées.

Le projet de loi rend plus publics les critères appliqués par les juges lorsqu’ils doivent décider de remettre ou non une personne en liberté lorsqu’elle est jugée pour un délit. Il est important de se souvenir qu’il n’est question ici que des circonstances dans lesquelles on a porté des accusations d’infractions violentes très graves, que ce soit avec une arme à feu, un répulsif à ours, des couteaux, etc., ou de violence et de violence répétée contre un partenaire intime, notamment.

(1540)

Malheureusement, ce projet de loi ne vise pas à lutter contre les problèmes bien réels que vous avez soulevés, mais c’est un pas dans la bonne direction lorsqu’il s’agit d’atténuer les risques de violence pour la population et les collectivités. À cet égard, si vous me permettez ce lieu commun, nous ne devons pas laisser le mieux être l’ennemi du bien.

C’est un pas important. Le projet de loi ne vise pas à résoudre les problèmes importants que vous soulevez. Pour cela, il faudra d’autres projets de loi et mesures de la part de tous les ordres de gouvernement.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, en toute franchise, je ne comptais pas poser de question, mais, compte tenu de la question soulevée par la sénatrice McCallum, je suis ravie que nous ayons cette discussion sur le processus et sur la nécessité de tenir un débat rigoureux sur ce projet de loi important et de mener une étude exhaustive.

La sénatrice McCallum a soulevé une question qui m’a amenée à m’interroger en particulier sur l’inversion du fardeau de la preuve. Cela représente un écart par rapport à la façon normale de procéder au sein du système de justice du Canada. Si on inverse le fardeau de la preuve de manière à ce que l’accusé doive démontrer qu’il devrait être mis en liberté sous caution, je crains que cela puisse avoir pour effet de désavantager encore plus divers groupes qui ont toujours été désavantagés de façon disproportionnée. Cela peut parfois avantager une personne qui a l’argent et les ressources nécessaires pour retenir les services d’un bon avocat. Étant donné que nous n’avons pas encore étudié la question de façon exhaustive — j’espère que nous en aurons l’occasion —, je suis simplement curieuse de savoir si le gouvernement s’est penché sur la possibilité que l’inversion du fardeau de la preuve confère un avantage aux personnes qui ont des ressources et sur les conséquences de cette situation.

Le sénateur Gold : Le gouvernement prend très au sérieux l’incidence de la législation criminelle et du système de justice criminelle sur les Canadiens et il sait fort bien, comme nous tous, que les gens qui ont les moyens et ceux qui n’en ont pas n’obtiennent pas les mêmes résultats dans leurs démêlés avec le système judiciaire, en dépit du fait que la loi s’applique de la même manière à tous. Qu’il y ait ou non inversion du fardeau de la preuve, si un accusé a les moyens de se payer un bon avocat, il s’en tirera nettement mieux qu’un accusé qui est sans le sou. C’est la réalité dans notre société.

Contrairement aux gouvernements précédents, l’actuel gouvernement prend cet enjeu très au sérieux et, encore une fois — au risque d’en dire plus que nécessaire à l’étape de la deuxième lecture — c’est tout à son honneur.

Cela dit, ce changement repose sur le corpus législatif contenu dans le Code criminel et sur la jurisprudence établie par les tribunaux qui reconnaissent qu’il est parfois approprié d’inverser le fardeau de la preuve, à défaut de quoi, la sécurité publique, notamment celle des personnes et des collectivités, risquerait d’être indûment compromise. Les juges conservent toujours le même pouvoir discrétionnaire, pour le meilleur et pour le pire, à l’égard d’un accusé qui demande une libération sous caution.

Ce sont des questions qui pourront être adressées au comité, au ministre, aux fonctionnaires et aux autres témoins, mais je suis convaincu que le gouvernement prend ces considérations très au sérieux et qu’il croit que les répercussions de ces changements, dont certains peuvent sembler modestes — et certains le sont effectivement, comme je l’ai expliqué dans mon intervention — ne changeront pas vraiment la regrettable différence dans l’incidence de la législation criminelle sur ceux qui ont des moyens financiers et ceux qui n’en ont pas.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-48, dont le titre abrégé est Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

La progression de l’étude de ce projet de loi est plutôt inhabituelle.

Son dépôt, à l’étape de la première lecture à la Chambre des communes, a été annoncé en grande pompe par le gouvernement fédéral le 16 mai 2023. Par la suite, le gouvernement ne s’est pas empressé de prononcer un discours en deuxième lecture à la Chambre des communes pour tenter de faire progresser son étude à la Chambre.

Cependant, le 18 septembre 2023, ce projet de loi a franchi toutes les étapes de son étude à la Chambre des communes et a été adopté par les députés. Le gouvernement ne pourra donc pas reprocher à l’opposition d’avoir retardé l’étude de ce projet de loi.

Si ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes et qu’il est adopté en deuxième lecture aujourd’hui au Sénat, cela ne veut pas dire que ce projet de loi va assez loin et qu’il contient toutes les mesures nécessaires pour répondre au problème qu’il cherche à régler, c’est-à-dire resserrer les règles du système de libération sous caution pour mieux protéger les Canadiens contre des personnes qui commettent des crimes graves alors qu’elles sont en liberté sous caution.

Ce projet de loi s’applique aux personnes que les policiers n’ont pas libérées après leur arrestation. Dans ces cas, ces personnes doivent comparaître devant un juge rapidement pour subir une enquête sur remise en liberté.

Le projet de loi C-48 propose d’ajouter des infractions pour lesquelles une personne accusée doit démontrer au juge, lors de cette enquête sur remise en liberté, qu’il est justifié de la remettre en liberté avant son procès. L’une de ces infractions est celle prévue actuellement à l’article 95 du Code criminel : possession d’une arme à feu prohibée chargée. Les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux avaient demandé unanimement, dans une lettre qu’ils avaient adressée le 13 janvier 2023 au premier ministre Trudeau, d’imposer un fardeau à l’accusé pour cette infraction.

Je cite leur lettre, qui se lit comme suit :

Il faut créer un renversement du fardeau de la preuve en matière de mise en liberté sous caution pour les cas de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée prévus à l’article 95 du Code. Une personne accusée d’une infraction en vertu de l’article 95 devrait avoir à démontrer pourquoi sa détention n’est pas justifiée lorsqu’elle est accusée d’avoir commis un acte où il y avait un risque imminent pour le public, comme c’est déjà le cas pour plusieurs infractions impliquant des armes à feu. Un examen des autres infractions liées aux armes à feu s’impose également pour déterminer si elles devraient aussi faire l’objet d’un renversement du fardeau de la preuve lors de la mise en liberté sous caution.

Voici un premier exemple qui démontre pourquoi le projet de loi ne va pas nécessairement assez loin. Il y a plusieurs infractions graves en matière de violence et d’armes à feu qui ne sont pas incluses dans le projet de loi C-48.

Autrement dit, ces infractions, même si elles sont intrinsèquement graves, n’imposent aucun fardeau à l’accusé de démontrer pourquoi il devrait être libéré. Je pense par exemple aux infractions suivantes : agression sexuelle grave sans usage d’une arme à feu; voies de fait graves; prise d’otage sans usage d’une arme à feu; tentative de meurtre sans usage d’une arme à feu; incendie criminel avec danger pour la vie humaine.

Je pense aussi aux infractions d’homicide involontaire avec usage d’une arme à feu ou de négligence criminelle avec usage d’une arme à feu causant la mort. Dans le cas de ces deux dernières infractions, elles sont punissables d’une peine minimale de quatre ans de pénitencier et cette peine minimale a été jugée constitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans les arrêts R. c. Morrisey et R. c. Ferguson.

Je suis certain que si l’on sondait les Canadiens, ils seraient d’avis que des personnes ayant commis des crimes aussi dangereux doivent demeurer derrière les barreaux en attendant leur procès ou, à tout le moins, se voir imposer le fardeau de démontrer que leur libération est justifiée.

Le projet de loi C-48 ne corrige pas cela, et j’espère que des témoins qui comparaîtront au comité sénatorial, dont ceux provenant du milieu policier, dénonceront ce problème. Actuellement, il y a une présomption légale aux articles 493.1 et 515 du Code criminel qui fait en sorte que ces accusés doivent être libérés à la première occasion raisonnable et aux conditions les moins sévères possibles, à moins que le procureur de la Couronne ne prouve devant le juge qu’il est nécessaire de détenir ces accusés en attendant l’issue de leur procès ou de leur imposer des conditions de libération sévères.

Voici donc un autre exemple qui démontre pourquoi le projet de loi C-48 ne va pas assez loin. Le projet de loi C-48 propose d’imposer le fardeau à une personne, de justifier pourquoi elle devrait être libérée sous caution, lorsqu’elle est accusée d’avoir commis une infraction perpétrée avec usage de violence contre une personne à l’aide d’une arme, et que, dans les cinq années précédant la date de sa mise en accusation pour cette infraction, elle a été condamnée pour une autre infraction perpétrée avec usage de violence contre une personne à l’aide d’une arme.

(1550)

Autrement dit, le projet de loi C-48 vise le cas d’une personne récidiviste en matière de crimes de violence. Le problème, c’est la limite maximale de cinq ans entre la commission des deux infractions lorsqu’elle est commise. Prenons un exemple hypothétique : une personne qui aurait commis une infraction de violence avec une arme et qui se serait vu imposer une peine de 10 ans de pénitencier pour avoir commis le même type d’infraction ne serait pas visée par le projet de loi C-48, puisqu’il y aurait alors plus de cinq ans entre les deux infractions.

Autrement dit, si cette personne commet une infraction de violence avec une arme le lendemain de sa sortie du pénitencier, il n’y a pas de présomption légale qu’elle doit rester derrière les barreaux en attendant son procès pour cette nouvelle infraction. Le gouvernement fédéral aurait-il pu prévoir dans le projet de C-48 une limite de 10 ans entre les deux infractions au lieu de 5 ans, ou mieux, aurait-il pu tout simplement supprimer ce seuil de 5 ans entre les deux infractions? Le gouvernement fédéral aurait dû y penser avant de déposer le projet de loi C-48. C’est pourquoi je soutiens que le projet de loi C-48 aurait pu aller plus loin pour protéger les Canadiens contre les récidivistes.

Au fond, cela ne m’étonne pas nécessairement de la part du gouvernement. C’est le même gouvernement qui a proposé le projet de loi C-75 en 2018, avec l’appui des bloquistes. Un projet de loi dont les conservateurs et les policiers continuent à dénoncer le laxisme, car le projet de loi C-75 a favorisé indûment la libération de récidivistes violents ou de personnes qui commettent des crimes graves avec des armes de poing.

Je cite un passage de la lettre du 12 janvier 2023 qu’a envoyée l’Association des directeurs de police du Québec au ministre fédéral de la Sécurité publique dans laquelle elle réagissait à la mort tragique et évitable d’un collègue policier Grzegorz Pierzchala :

Nous ne pouvons […] tolérer que des criminels violents qui utilisent des armes à feu à répétition mettent en danger la vie de nos policiers et des familles canadiennes. Ces récidivistes ne doivent aucunement circuler librement dans nos communautés. Nous vous demandons donc de revenir sur la décision récente de votre gouvernement en ce qui concerne le processus de remise en liberté des contrevenants violents et récidivistes accusés de crimes liés aux armes à feu […] [L]es policiers ont le droit, tout comme le public, d’être protégés contre les comportements criminels des délinquants violents et récidivistes, en particulier ceux qui sont accusés de crimes liés aux armes à feu. Ce droit doit d’ailleurs être privilégié lorsque les questions de mise en liberté et de détermination de la peine sont examinées.

Cela étant dit, malgré ces importantes réserves, je vous recommande de voter en faveur du projet de loi C-48 à l’étape de sa deuxième lecture au Sénat, afin que nous puissions poursuivre notre étude au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’appuie son objectif. Il y a urgence d’agir pour resserrer les règles de mise en liberté sous caution, dans le contexte de l’augmentation des crimes commis dans les grandes villes canadiennes au moyen d’armes de poing illégales. Tous s’entendent pour reconnaître les dangers que cause cette hausse de la criminalité, dont la Cour d’appel du Québec.

En effet, dans son arrêt Dallaire c. R. de 2022, la cour mentionne ce qui suit :

La société canadienne réprouve fortement l’usage des armes à feu possédées illégalement par les délinquants qui en font un usage illicite, dangereux et souvent meurtrier. Les événements récents qui ont eu cours au Québec, entre autres dans la région de Montréal, de Montréal-Nord, de Longueuil, de Laval et de Rivière-des-Prairies, confirment ce danger réel pour la sécurité des citoyens et la paix sociale [...]

Étant donné l’urgence de ce problème et l’objectif du projet de loi qui fait consensus, je suis d’accord pour que l’on accorde une exception dans le cadre de ce projet de loi, c’est-à-dire qu’il soit adopté à l’étape de la deuxième lecture immédiatement, afin qu’il soit renvoyé dès que possible au comité sénatorial pour qu’il mène une étude approfondie dans les meilleurs délais.

Je demeure malheureusement déçu de l’insuffisance de mesures fortes dans ce projet de loi pour protéger nos concitoyens canadiens. Je vous remercie, chers collègues.

[Traduction]

L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, il est indéniable que les actes de violence horribles et répugnants qui sont à l’origine de ce projet de loi sont exactement cela : horribles et répugnants. Toutefois, il s’agissait de cas extrêmes qui ne découlaient pas d’une incapacité de détenir les délinquants; ils étaient surtout le résultat des échecs de nos systèmes inadéquats d’aide sociale, d’aide au logement, de soutien économique et de santé, surtout de santé mentale.

À un moment où les prisons sont pleines — surtout d’Autochtones, de Noirs et de personnes qui vivent dans la pauvreté avec des troubles de santé mentale et des problèmes de toxicomanie découlant des traumatismes qu’ils ont vécus —, pourquoi propose-t-on ce projet de loi aux Canadiens?

Les prisons provinciales sont pleines à craquer, comme vous le savez. Plus de 71 % des détenus sont en attente d’un procès, et la majorité d’entre eux sont là parce qu’ils sont pauvres, racisés ou aux prises avec des traumatismes, des problèmes de toxicomanie ou des troubles de santé mentale.

Nous savons que les femmes autochtones à elles seules représentent 50 % de toutes les détenues qui purgent une peine d’emprisonnement dans le système carcéral fédéral. Savez-vous qu’elles représentent entre 75 et 99 %, voire 100 % de toutes les femmes dans les prisons provinciales?

Dans les prisons pour filles et jeunes femmes de la Saskatchewan, du Manitoba et du Nord, entre 95 et 100 % des détenues sont autochtones.

Pendant ce temps-là, est-ce que les communautés autochtones et noires obtiennent les ressources dont elles ont besoin pour corriger la situation? Elles reçoivent des miettes, et encore. À la place, elles se font offrir — et nous aussi — ce projet de loi, qui met sur les épaules des accusés le fardeau de prouver qu’ils devraient être relâchés de prison.

Il propose aussi d’élargir la disposition d’inversion du fardeau de la preuve dans les cas de violence entre partenaires intimes sans qu’il y ait eu la moindre analyse des répercussions possibles d’une diminution des signalements au sein d’un groupe déjà trop victime de discrimination, sous-représenté et mal desservi.

Où se trouvent la loi et la politique visant à consolider ces systèmes qui mettent actuellement en danger les victimes de violence entre partenaires intimes? Cela comprend les mesures de soutien sur les plans économique, social, du logement et de la santé afin de vraiment aider les femmes à fuir et à être en sécurité.

Où se trouvent les mesures en réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées?

Où sont les programmes communautaires et éducatifs visant à s’attaquer aux comportements et aux préjugés qui persistent au sujet de la violence faite aux femmes, de la violence entre partenaires intimes et de la pauvreté?

Qui finira par se retrouver en prison avec ce projet de loi?

Jetons un coup d’œil aux femmes qui ont été victimes de violence : nous savons que lorsqu’elles tentent d’échapper à la violence, si elles le font sans saisir un objet pour se protéger, bien franchement, elles courent davantage de risques d’être tuées que de s’en sortir.

Ces femmes ne sont pas ce qu’on pourrait considérer être un risque pour la sécurité publique, mais ce sont elles qui doivent surmonter les obstacles les plus importants à l’annulation de l’inversion du fardeau de la preuve. Il n’y a qu’à voir combien d’entre elles plaident coupables même en cas de légitime défense, si quelqu’un d’autre les a défendues, ou lorsqu’elles ne sont pas responsables du décès ou des blessures.

Les criminalistes signalent déjà que, malgré cette nouvelle disposition, les gens bien nantis pourraient inverser le fardeau de la preuve en proposant des conditions de surveillance et de libération strictes dont ils ont les moyens financiers d’assurer par eux-mêmes le respect, ce qui aggravera les iniquités dans le système juridique.

Ces avocats et d’autres groupes, qui sont troublés par l’adoption rapide du projet de loi C-48 par l’autre endroit, ont souligné qu’« une personne blanche et riche est en mesure d’inverser le fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution bien plus facilement qu’une personne racisée venant d’un milieu pauvre ».

Ce projet de loi compromet les engagements du Canada à l’égard d’une relation de nation à nation, de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il transformerait de nouveau en criminels des membres de groupes déjà surreprésentés dans le système de justice pénale, au lieu d’employer des moyens concrets pour s’attaquer aux problèmes existants.

(1600)

Il faut également avoir l’honnêteté de reconnaître que rien ne soutient les affirmations voulant que le projet de loi aura l’effet escompté sur la sécurité publique. S’il ne s’agit pas uniquement d’une manœuvre politique, pourquoi n’y a-t-il pas eu un examen en bonne et due forme à l’autre endroit? La population devrait être horrifiée de voir que des élus sont prêts à contourner le processus habituel d’étude des projets de loi et à laisser de côté des données probantes sur le taux de criminalité réel, notamment celles qui indiquent que le taux de crimes violents est à son plus bas de l’histoire.

Le nombre de personnes reconnues coupables et incarcérées a diminué, mais le nombre de personnes détenues dans l’attente d’un procès a plus que quadruplé au cours des 40 dernières années. Le processus décisionnel en matière de mise en liberté sous caution au Canada s’est resserré et est devenu plus intolérant au risque au fil du temps. La seule contribution à la sécurité publique de ce type d’incarcération est le retrait d’une personne de la société pendant une période donnée, mais il n’y a rien qui soit fait pour s’assurer que, une fois relâchée, la personne obtiendra le soutien dont elle a besoin et qui aurait pu empêcher qu’elle se retrouve là où elle en est.

La seule contribution à la sécurité publique de la détention avant procès est ce retrait temporaire de la société. Pourtant, nous encourageons un plus grand recours à la détention avant procès, ce qui augmentera la probabilité que la personne plaide coupable simplement pour recouvrer la liberté. Cela soulève également des préoccupations concernant les condamnations injustifiées et la manière d’y remédier, au sujet desquelles nous attendons de voir un autre projet de loi. Rendre le régime de mise en liberté sous caution plus strict et accroître le recours à la détention avant procès produira des résultats discriminatoires et minera les efforts de lutte contre la discrimination systémique et les séquelles du colonialisme.

Chers collègues, je soutiens qu’il est irresponsable et non démocratique de faire franchir les étapes du processus législatif de manière précipitée à ce genre de projet de loi symbolique. Le projet de loi facilite l’emprisonnement de personnes, en particulier de femmes autochtones, sans procès. Le processus législatif est le reflet du système qui existe déjà. Nous devons traiter les gens de manière juste, et non hâtivement. Le gouvernement maintient que le projet de loi apaisera les préoccupations de la population à l’égard des récidivistes violents et de ceux qui commettent une infraction avec une arme, à feu ou autre. Il faut fournir des renseignements pertinents, importants et exacts à la population. Le système doit respecter la Charte et la Constitution, se fonder sur les données probantes et être libre de toute ingérence politique. Chers collègues, voilà quel sera, je l’espère, notre apport dans le cadre de l’étude du Comité des affaires juridiques et des débats au Sénat. Meegwetch. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Frances Lankin : Merci. Je remercie tous ceux qui ont donné leur point de vue jusqu’à présent, et je pense qu’il y a de nombreux enjeux à examiner plus en profondeur. J’ai particulièrement aimé que vous parliez non seulement de la situation des femmes autochtones et noires dans le système de justice, mais aussi des préjugés sexistes de manière générale.

L’une des choses que j’ai apprises dans le cadre de mon travail auprès d’organismes qui viennent en aide aux femmes victimes de violence conjugale est le changement dans l’attitude des policiers au fil du temps. Je me serais attendue à plus d’empathie ou à une amélioration, mais les statistiques — et les témoignages que j’ai entendus — indiquent une hausse du nombre de femmes accusées ou arrêtées après avoir agi en légitime défense.

J’aimerais savoir si vous pouvez nous fournir des détails ou plus d’information sur ce sujet. De façon plus précise, j’espère que, dans le contexte de l’étude du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles à l’étape de la deuxième lecture, ce sera l’un des points soulevés sur lesquels vous vous pencherez. Vous avez mentionné la difficulté accrue pour les femmes dans ces circonstances de satisfaire aux critères sur l’inversion du fardeau de la preuve, alors j’espère que cela fera aussi partie de votre réflexion.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup pour la question et pour votre suggestion. Je suis d’accord. De nombreuses enquêtes sur la mort de femmes et, plus particulièrement de femmes autochtones, mais aussi la Commission des pertes massives concluent qu’il faut continuer d’aller dans ce sens et comprendre que la contre‑accusation et la diffamation de la victime ont des conséquences négatives sur les femmes, surtout celles qui sont désavantagées par plusieurs facteurs à la fois, que ce soit l’origine ethnique, le sexe, l’identité ou la pauvreté.

Il y a certes eu de grandes avancées pour ce qui est de la sensibilisation à ces questions. J’ai d’ailleurs rencontré plusieurs agents de police et je connais les excellentes politiques des services policiers, mais je sais aussi qu’elles ne sont pas toujours respectées. En fait, il est assez peu courant — et je crois avoir déjà abordé le sujet au Sénat — que les agents de police fassent un travail vraiment exceptionnel dans ce domaine. Cela ne devrait pas être l’exception; voilà un aspect sur lequel il faudrait se pencher à mon avis. Avec cette approche, on est encore loin de régler les problèmes fondamentaux qui contribuent à ces situations.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 20 septembre 2023, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 26 septembre 2023, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice Mégie, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est à son 15e jour, et je ne suis pas prête à intervenir. Par conséquent, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

La Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski)

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Housakos, appuyée par l’honorable sénatrice Martin, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-247, Loi modifiant la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski).

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est à son 15e jour, et je ne suis pas prêt à intervenir. Par conséquent, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 4-15(3) du Règlement, je propose l’ajournement du débat pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

(1610)

Projet de loi sur le cadre national sur la publicité sur les paris sportifs

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Deacon (Ontario), appuyée par l’honorable sénatrice Busson, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-269, Loi concernant un cadre national sur la publicité sur les paris sportifs.

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi S-269. Le sénateur Woo a eu la gentillesse de me faire remarquer que l’auditoire présent pour ce discours ne comptait plus que trois personnes, mais je suis particulièrement heureux qu’elles soient restées.

Il y a deux jours, la sénatrice Marty Deacon a exposé les raisons qui motivent la présentation de ce projet de loi et l’orientation qu’il propose pour la réglementation de la publicité et de la promotion des paris sportifs au Canada. Elle a également parlé en détail de la structure du projet de loi et de ses objectifs. Je souhaite apporter mon soutien au projet de loi et je souscris pleinement aux remarques de la sénatrice.

Question de rendre mes commentaires utiles, je diviserai mes remarques en trois parties. Pour ajouter un peu de piquant, peut-être au bénéfice du sénateur Dalphond, je ferai de mon mieux pour maintenir votre intérêt en donnant à chacune des sections de mes remarques un titre accrocheur.

La première section, qui se penche sur la manière dont nous sommes arrivés ici, s’intitule « De la façon dont je me suis possiblement livré à des activités criminelles avant d’être nommé au Sénat ». De manière plus énigmatique, la deuxième section s’intitule « L’éléphant » et la troisième section, « Que faire à la croisée des chemins? ».

Voici donc « De la façon dont je me suis possiblement livré à des activités criminelles avant d’être nommé au Sénat ». J’espère que le privilège parlementaire s’applique à ces remarques.

Pendant plus d’une décennie, avant ma nomination au Sénat, j’ai donné un cours sur les sports et le droit à la Faculté de droit de Saskatoon et, parfois, à l’Université Dalhousie, à Halifax. Les étudiants étaient appelés à rédiger d’importants rapports de recherche. Pratiquement chaque année, un étudiant choisissait de se pencher sur les paris sportifs et le droit pénal du Canada. Ce que j’ai appris dans ces travaux était légèrement troublant.

Lorsque je suis à Saskatoon le dimanche soir, nous avons généralement des soupers de famille. Mes neveux y sont. Il n’était pas rare que des membres de la famille, moi y compris, discutent de différentes équipes sportives et des résultats probables des affrontements. Pour mes neveux, l’objectif de ces discussions était d’évaluer les équipes en vue des paris qu’ils allaient prendre. Eh bien, en lisant les travaux de mes étudiants sur les paris sportifs, j’ai fait une découverte sur la situation qui a prévalu au moins jusqu’en 2021 : mes neveux pariaient sur des matchs sportifs individuellement et, ce faisant, commettaient des infractions criminelles. On pourrait faire valoir, j’imagine, que j’étais complice de ces crimes en discutant de ce sujet avec eux et en leur offrant mes opinions relativement peu éclairées — essentiellement, si je puis dire, j’étais complice de la prise de paris.

Au cours de ces années, j’ai été frappé par le fait que, même si l’on peut désapprouver les paris sous toutes leurs formes, parier sur un seul résultat sportif est loin d’être un geste que l’on pourrait qualifier d’acte criminel. C’est d’ailleurs ce qui a motivé mon soutien au projet de loi C-218, parrainé en 2021 dans cette enceinte par le sénateur Wells et adopté cette année-là. Jusqu’à l’adoption de cette mesure législative en 2021, c’était tout à fait légal de parier sur trois matchs en même temps, mais criminel de parier sur un seul match. C’était complètement absurde.

Comme la sénatrice Deacon l’a indiqué, ce projet de loi a mis en lumière la question des paris sportifs. Il a permis de réaliser au moins quatre choses positives. Premièrement, il a créé une industrie légitime, loin des marchés gris ou noirs des paris sportifs. Deuxièmement, il a au moins rendu possible de réglementer efficacement cette industrie. Troisièmement, il a généré des recettes pour les pouvoirs publics. Quatrièmement, il a rendu possible l’adoption de stratégies pour identifier les gens vulnérables aux paris sportifs et utiliser les recettes en vue d’atténuer ces risques.

Je continue d’appuyer l’initiative visant à décriminaliser les paris sur une seule épreuve sportive. Comme vous le savez, ce projet de loi a été adopté suite à d’importants travaux de fond et, comme l’a souligné le sénateur Deacon, celui-ci a ouvert tout un éventail de possibilités en matière de paris sportifs, et a également donné lieu à un déferlement de publicité pour les paris sportifs. Bien entendu, c’est sur ce dernier aspect que porte le projet de loi dont nous sommes saisis.

Pour ma part, j’ai un aveu à faire : je m’attendais à ce que les plateformes de paris fassent beaucoup de publicité pour inciter les gens à se connecter à leurs sites et à parier par leur intermédiaire. Cela n’a rien d’étonnant puisque la rentabilité des plateformes de paris repose, dans une certaine mesure, sur des marges limitées obtenues grâce à un grand nombre de parieurs et de paris. Ce que je n’avais pas prévu — et je pense que c’est également le cas en Angleterre —, c’est l’ampleur du déferlement publicitaire qui cherche à nous pousser non seulement à utiliser des plateformes de paris, mais également à parier sur un nombre sans cesse croissant de résultats — voire de parties de résultats —, à tel point qu’il est possible de parier sur des choses ridicules, voire, dans certains cas, problématiques. Cette promotion des paris est devenue excessive et, dans certains cas, choquante.

J’ai lu un article au printemps dernier au sujet d’un radiodiffuseur sportif qui s’était excusé aux téléspectateurs essentiellement parce qu’il avait mis abruptement fin à une publicité sur des paris sportifs pour revenir en direct. Il s’agissait d’excuses bidon, mais cela illustre bien le point que j’essaie de faire valoir ici.

La sénatrice Deacon a bien explicité les difficultés et les risques que posent pour nous une quantité excessive de paris sportifs et de publicités. Il nous revient maintenant de relever le défi d’adopter une politique publique qui mettra efficacement un frein à cette promotion excessive des paris, ce qui m’amène à la prochaine section, « L’éléphant ».

Voici une vieille histoire qui circule dans le milieu juridique : quatre étudiants — un Canadien, un Britannique, un Allemand et un Italien — suivent un cours de rédaction. Le professeur leur donne pour devoir de rédiger un essai sur le thème de « l’éléphant ». Lorsqu’ils reviennent en classe après avoir rédigé leur essai, le professeur leur demande le titre de leur essai. La réponse de l’étudiant britannique, qui aurait pu être un jeune Tony Dean, est « Le rôle de l’éléphant dans l’histoire de l’Empire britannique ». L’étudiant allemand, qui aurait pu être un jeune Peter Boehm, répond : « Comment construire un éléphant plus gros et meilleur. » L’étudiant italien, qui ressemble peut-être à un jeune Tony Loffreda, a intitulé son essai La vie amoureuse de l’éléphant. Quant à l’étudiant canadien, qui aurait pu être une jeune version intellectuelle de Brent Cotter, — et c’est ici que j’arrive à mon point —, il a intitulé son essai L’éléphant : une responsabilité fédérale ou provinciale?

Vous vous demandez peut-être quel est le lien entre cette histoire et le projet de loi. Je vais vous le dire.

Les paris sportifs, et particulièrement la publicité à leur sujet, ressemblent à cette histoire à propos d’un éléphant : ils sont composés de parties disparates, dans ce cas-ci d’un mélange de domaines de compétence fédéraux et provinciaux. Le sénateur Dalphond l’a souligné mardi, pendant sa discussion avec la sénatrice Deacon. En ce qui concerne les paris sportifs, le gouvernement fédéral a le pouvoir de criminaliser cette activité, ce qu’il a fait pendant longtemps, jusqu’en 2021. Il pourrait considérer les paris sportifs comme une forme de jeu, ce qu’il a fait dans les années 1980, et en transférer légalement la supervision aux provinces. Il a délégué du pouvoir aux provinces, qui se chargent donc de la gestion des jeux, y compris des paris sportifs. Par ailleurs, Ottawa peut réglementer les communications liées aux paris sportifs, pour lesquelles l’autorité réglementaire est le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC.

En raison de ce qui est essentiellement un découpage constitutionnel, Ottawa a un pouvoir notable sur les paris sportifs, mais une bonne partie de la réglementation encadrant les jeux, y compris les paris sportifs, est entre les mains des provinces. Cela explique pourquoi au moins une des composantes de l’« éléphant du jeu », si je peux m’exprimer ainsi, est une question de compétence provinciale et pourquoi, par exemple, la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario a annoncé que les agences de paris sportifs ne pourraient plus utiliser des célébrités dans leurs publicités. De même, l’autorité de réglementation des jeux de hasard de la Colombie-Britannique a pris des mesures pour assortir les licences délivrées aux agences de paris sportifs de conditions visant à atténuer certains des problèmes qui préoccupent tant de gens.

(1620)

Comme je le mentionnerai dans la dernière partie de mon intervention, les autorités provinciales qui régissent le jeu peuvent aller plus loin qu’elles ne l’on fait sans pour autant empiéter sur la compétence d’Ottawa. Elles doivent le faire, mais il n’en reste pas moins que certaines parties de l’énorme dossier du jeu relèvent de la compétence fédérale.

J’en viens enfin à la troisième partie de mon intervention : que faire lorsque l’on arrive à la croisée des chemins. Certains d’entre vous, en entendant ces mots, penseront peut-être au poème La route que je n’ai pas prise, de Robert Frost, mais je voudrais faire référence à quelqu’un d’autre. Je vous recommande aujourd’hui de réfléchir à un vers d’un autre grand poète, Yogi Berra, qui a dit — certains le réciteront en chœur — : « Quand tu arrives à la croisée des chemins, prends-la! » Pour moi, la croisée des chemins évoque les options qui s’offrent aux autorités fédérales et provinciales en matière de réglementation sur cette question. Le conseil, comme le dit le grand poète et expert constitutionnel Yogi Berra, c’est de prendre les deux chemins réglementaires.

Voici comment s’y prendre. Le projet de loi contient deux demandes pour les instances fédérales. La première consiste à ordonner au CRTC de définir les balises nécessaires en matière de publicité et de promotion des paris sportifs dans les domaines que le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer. La seconde consiste à mettre au point, au terme de vastes consultations menées par les ministres fédéraux, une stratégie nationale visant à encadrer la publicité et la promotion des paris sportifs dans l’ensemble des provinces et des territoires, toutes compétences confondues. Ce devra être un projet d’envergure parce que, comme l’a dit la sénatrice Deacon, la recherche a fait ressortir les risques chez les parieurs vulnérables et les jeunes. Or, les risques n’ont que faire des chicanes de compétences.

La sénatrice a donné quelques exemples : interdire les publicités immédiatement avant, pendant et après les matchs, interdire ou limiter le recours à des célébrités et des athlètes pour faire la promotion des paris, interdire la publicité aux heures où les jeunes constituent une part importante de l’auditoire et interdire les publicités dans les centres sportifs et sur l’uniforme des joueurs. Des pays d’Europe en ont adopté différentes variantes. Un organisme dirigé par John Sewell, ancien maire de Toronto, et Bruce Kidd, ancien athlète olympique et professeur émérite à l’Université de Toronto, a dernièrement publié un excellent article sur la question. Mes propres recherches ont aussi fait ressortir différentes possibilités.

En ce qui concerne la préservation de l’intégrité des sports, je dirai simplement ceci : cette vaste stratégie nationale doit comprendre un examen des types de sports pour lesquels les paris devraient être interdits, en particulier ceux dont les athlètes risquent le plus d’être soudoyés en vue d’influencer l’issue d’une partie. Par exemple — c’est arrivé ailleurs dans le monde —, la stratégie pourrait comprendre une interdiction des paris dans le sport amateur; une interdiction des paris dans les sports universitaires, ce que de nombreux États américains ont fait lorsqu’on leur a donné le pouvoir de réglementer les paris sportifs, en 2019; ou une interdiction des paris dans les sports olympiques, une mesure que de nombreux intervenants ont suggérée, notamment M. Kidd.

Si une telle stratégie nationale est requise, c’est parce que de nombreuses mesures éventuelles sont de compétence provinciale, et Ottawa pourrait favoriser leur adoption par les provinces.

Un large échantillon de la société canadienne réclame une intervention, depuis le père très préoccupé dont la sénatrice Deacon a parlé mardi jusqu’aux dizaines de milliers de téléspectateurs — j’ai l’impression qu’ils m’ont tous contacté — qui sont irrités par l’assaut publicitaire, en passant par les gens qui ont vu de leurs propres yeux ce que la dépendance, sous quelque forme que ce soit, peut faire à la vie et à la famille des personnes vulnérables, les personnes qui ont consacré leur vie et leur carrière au sport et qui s’inquiètent de voir l’objet de leur passion terni et son essence diminuée, ou encore les organisations d’éthique sportive, comme le Centre canadien pour l’éthique dans le sport, qui redoutent que leur valorisation du sport athlétique sain, sûr et éthique soit associée à une commercialisation excessive et dangereuse. Le projet de loi de la sénatrice Marty Deacon nous donne l’occasion de mobiliser nos ressources, non pas pour détruire une industrie, mais pour la mettre sur le droit chemin, un chemin judicieusement réglementé à l’échelle nationale.

J’appuie ce projet de loi et je vous encourage à faire de même. Merci beaucoup.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la Journée nationale de Thanadelthur

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Mary Jane McCallum propose que le projet de loi S-274, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-274, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur. Je tiens à vous faire part de mon expérience de l’histoire orale chez les Dénésulines de Brochet et de Lac Brochet. Les Dénés ont conclu le Traité no 10 en 1906, et les Cris sont venus s’installer au début des années 1920. Ils ont vécu ensemble à Brochet, au Manitoba, où ils se sont mariés et ont élevé des familles.

Les jeunes enfants dénés et cris de Brochet ont été envoyés au Pensionnat indien de Guy Hill, où, en tant qu’élèves, nous sommes devenus une famille. Grâce à cette proximité, j’ai eu le privilège d’entendre l’histoire de Thanadelthur, il y a 20 ans, de la bouche de Mme Lucy Antsanen, une habitante dénée de Brochet et de Lac Brochet, qui a subi des traumatismes intergénérationnels liés aux pensionnats. Historiquement, pendant les années où ils apprenaient l’histoire orale, les jeunes Dénés entendaient parler de cette jeune femme remarquable grâce aux histoires transmises par leurs grands‑parents et leurs parents, et c’est encore le cas aujourd’hui.

D’entrée de jeu, chers collègues, je tiens à vous informer que le mot « Chipweyan » est utilisé dans les références historiques. Il s’agit d’un terme péjoratif. Moi, j’utiliserai le terme correct, soit « Dénésuline », qui signifie les premiers peuples. Le mot « Cri » est également un terme colonial. Nous nous appelons les « Athinuwick ».

Honorables sénateurs, il y a plus d’une vingtaine d’années, Mme Antsanen, une jeune Dénée qui détenait une maîtrise en éducation, enseignait à Lac Brochet. Elle a raconté l’histoire de Thanadelthur à ses élèves. Depuis, les jeunes portent du rouge le 5 février afin d’honorer la mémoire de cette ambassadrice de la paix, puisque c’est ce jour-là qu’elle a rejoint le monde des esprits.

Aujourd’hui, je porte moi aussi du rouge en signe de solidarité avec mes sœurs. Je porte aussi les mocassins qui m’ont été remis en 1979 par l’aîné déné St. Pierre.

Cette histoire s’est produite avant que le Canada se métamorphose en pays et que le Manitoba devienne une province. Il n’y avait pas de frontières, seulement des limites aux territoires de chacune des nations autochtones. La traite des fourrures était à son apogée. La Compagnie de la Baie d’Hudon et la Compagnie du Nord-Ouest étaient toutes deux présentes dans les environs d’York Factory.

Thanadelthur est née à la fin des années 1600. Jadis, soit avant qu’ils commencent à coucher leurs histoires sur papier, les Dénés déterminaient l’âge d’une personne en comptant le nombre d’hivers qu’elle avait vécus. Si je le précise, c’est parce que l’âge qui est donné à Thanadelthur varie selon la source consultée, par exemple dans les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou dans les récits des historiens. Quoi qu’il en soit, Thanadelthur était une jeune adolescente lorsqu’elle est arrivée au fort de la baie d’Hudson.

Honorables sénateurs, c’est très difficile de nos jours de retrouver le véritable nom des femmes autochtones qui ont marqué l’histoire. Généralement, cette dernière réduisait ces ethenewuks à de simples « Indiennes » ou « femmes autochtones ». À Brochet, quand le prêtre français qui avait vécu parmi nous durant plus de 50 ans a écrit un livre sur nos vies et nos terres, il parlait seulement d’Indiens, comme si nous n’étions pas des êtres humains. Cela se passe de mon vivant.

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À une époque où les femmes autochtones figuraient rarement dans les livres d’histoire, vivait cette remarquable jeune fille dénée dont le nom, Thanadelthur, est gravé dans les livres d’histoire pour l’éternité. Comme telle, cette information fait partie de l’histoire orale, certes, mais elle transcende ce support puisqu’elle est également archivée et conservée dans les livres d’histoire ainsi que les outils d’enseignement utilisés dans les écoles. La publication de l’auteur Rick Book intitulée Blackships/Thanadelthur, qui présente la vie et les contributions de cette jeune femme, sert d’outil d’enseignement dans les Territoires du Nord-Ouest.

Chers collègues, durant la vie de Thanadelthur, les Dénés et les Cris étaient de vieux ennemis en guerre. Les anciens des différentes communautés dénées du Manitoba et de la Saskatchewan racontent la guerre entre les deux nations. Lorsque des Cris tombaient sur un campement déné, ils tuaient la majorité des Dénés, mais capturaient les jeunes filles, car elles étaient réputées pour leur ardeur au travail. Inversement, lorsque des Dénés tombaient sur un campement cri, ils ne faisaient pas de prisonniers.

En 1712 et 1713, la famille de Thanadelthur chassait le caribou dans les environs d’Arviat, au Nunavut, lorsque des Cris l’ont attaquée dans son campement et massacrée. Thanadelthur a été emmenée en captivité. Les anciens Cris l’ont appelée Akwakan Iskwew, ce qui signifie « femme esclave ». Les aînés dénés disent qu’elle a survécu parce qu’elle était d’une beauté stupéfiante et qu’elle était très habile.

Thanadelthur fut réduite en esclavage pendant plus d’un an et, à la fin de l’année 1714, elle et une autre jeune femme échappèrent à leurs ravisseurs cris et se dirigèrent vers le nord pour retrouver leur peuple. Sans nourriture ni vêtements chauds, elles se retrouvèrent rapidement dans une situation désespérée. Les filles survécurent grâce aux plantes comestibles, aux baies et au petit gibier qu’elles attrapèrent en chemin. On pense qu’elles utilisaient leurs longs cheveux pour fabriquer des pièges. Au cours de ce voyage, la jeune compagne de Thanadelthur mourut tragiquement, ce qui obligea Thanadelthur à abandonner sa route et à se rendre au fort, dans l’espoir d’y rencontrer les Anglais. Thanadelthur connaissait l’existence du fort, mais elle n’y avait jamais mis les pieds.

Quand elle trouvait des traces dans la neige, elle les suivait, sachant très bien qu’elle risquait d’être tuée si elle tombait sur des Cris. Pourtant, elle suivit les traces qui la menèrent, oscillant entre la vie et la mort, jusqu’à des chasseurs d’oies à Ten Shilling Creek, au sud-ouest de York Factory. Par chance, William Stuart, un employé de la Compagnie de la Baie d’Hudson, se trouvait parmi les chasseurs. Ces derniers ramenèrent Thanadelthur avec eux au fort York, situé près de l’estuaire de la rivière Hayes, dans le Nord du Manitoba.

Le directeur du fort était le gouverneur James Knight qui, quelques jours auparavant, avait prévu d’employer une femme dénée pour conclure la paix entre les Dénés et les Cris afin de pouvoir étendre le commerce des fourrures dans le Grand Nord — dans le territoire des Dénés. Malheureusement, la femme dénée en question décéda, ce qui obligea le gouverneur Knight à envisager d’autres avenues.

Selon les comptes rendus de la Compagnie de la Baie d’Hudson, le mercredi 24 novembre 1714, Thanadelthur est amenée au fort York, qu’on appelle aujourd’hui York Factory, au Manitoba. Thanadelthur dit au gouverneur Knight que son peuple est prêt à commercer avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, mais qu’il lui est difficile de commercer aussi loin au sud, puisque les Cris ont des armes à feu, et on sait qu’ils mènent des attaques contre les Dénés.

Le gouverneur Knight et William Stuart sont tous deux impressionnés par l’enthousiasme et l’intelligence de Thanadelthur. Une fois remise de l’expérience éprouvante qu’elle a vécue lors de son évasion, Thanadelthur est envoyée par le gouverneur Knight, accompagnée de William Stuart et d’environ 150 Cris, en mission de paix auprès des Dénés à la fin de juin 1715. Le gouverneur estime que Thanadelthur est la meilleure personne pour amener les deux nations à faire la paix.

Honorables sénateurs, les membres de cette expédition devront alors passer la plus grande partie de l’année dans la toundra et parcourir des centaines de kilomètres. Au cours de ce long et pénible voyage, les réserves de nourriture sont limitées, plusieurs membres de l’expédition tombent malades, et bon nombre rebroussent chemin. Pendant ce périple, Thanadelthur tire profit de ses connaissances et de son savoir-faire approfondis pour assurer sa survie et celle de William Stuart sur le territoire nordique. Elle confectionne leurs habits d’hiver avec des peaux d’animaux ainsi que des raquettes avec des branches et des tendons d’animaux.

Thanadelthur sauve l’expédition de la famine à plusieurs reprises. On calme la faim avec du thé ainsi que de la soupe faite uniquement avec de la neige, des mûres et des peaux d’animaux.

Finalement, le groupe ne compte plus que Thanadelthur, William Stuart, le chef cri et une dizaine de Cris. Près de leur destination, ils trouvent les corps de neuf Dénés, apparemment tués par des Cris. Craignant qu’on leur attribue les morts, William Stuart et les Cris refusent d’aller plus loin.

Thanadelthur demande au groupe de dresser un camp et d’attendre 10 jours pendant qu’elle part à la recherche de son peuple pour négocier la paix. Elle s’aventure seule dans les terres inhospitalières et, quelques jours plus tard, elle tombe sur des centaines de Dénés.

En raison de l’attaque précédente par les Cris, Thanadelthur doit se montrer très persuasive pour convaincre son peuple de l’accompagner jusqu’au camp cri. Au bout du compte, plus de 100 Dénés acceptent. Dans la plus pure tradition épique, elle arrive au camp cri le dixième jour.

Puis, les pourparlers de paix sont entamés. Thanadelthur mène les discussions en sermonnant les parties pour qu’elles fassent la paix. Enfin, à la tête d’une délégation de 10 Dénés, y compris son frère, elle retourne à Fort York en mai 1716.

Au poste de traite, elle fait rapidement partie des principaux conseillers de James Knight. En la consultant sur toutes sortes de plans, il découvre qu’elle est l’une des personnes les plus remarquables qu’il a rencontrées.

Au début de 1717, Thanadelthur tombe malade. Comprenant qu’elle va mourir, elle passe des heures à enseigner le déné à l’un des jeunes travailleurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson afin qu’il puisse la remplacer. Elle meurt le 5 février 1717, à l’âge d’environ 16 ans.

Dans le livre intitulé Muskekowuck Athinuwick: Original People of the Great Swampy Land, l’auteur Victor P. Lytwyn donne plus de détails sur cette période :

Lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson a recolonisé York Factory en 1714, elle tenait beaucoup à faciliter la paix entre les Moskégons et les Dénés. La compagnie avait des motifs économiques pour encourager une telle initiative de paix; elle prévoyait d’établir un poste de traite à l’embouchure de la rivière Churchill pour recueillir des fourrures des Dénés. Il y avait également des rumeurs voulant que le territoire des Dénés renfermait des métaux précieux, et la compagnie voulait forger une relation amicale pour exploiter ces ressources minérales. La motivation des Moskégons à faire la paix est plus difficile à établir. Ils n’avaient aucun avantage économique évident à faire la paix avec leurs ennemis ancestraux. Toutefois, l’initiative de paix est logique si on l’examine du point de vue de l’alliance entre les Moskégons et la Compagnie de la Baie d’Hudson. En tant qu’alliés de la compagnie, les Moskégons pourraient avoir participé à l’établissement de la paix avec les Dénés afin de solidifier leur relation avec les commerçants anglais. Un examen attentif de la mission de paix de 1715-1716 clarifie le rôle des Moskégons dans cette initiative. Cette mission de paix a précédemment été analysée par des érudits qui s’intéressent au rôle de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou de la femme dénée qui a agi à titre d’interprète.

Grâce à des festins et à des présents, James Knight a persuadé le chef des Moskégons d’entreprendre la mission de paix. Ainsi, 17 hommes et leur famille, soit environ 150 personnes ont suivi le chef moskégon. Accompagnant ce groupe se trouvaient William Stuart et Thanadelthur, qui avaient été capturés par les Moskégons.

Les membres du groupe ont quitté York Factory le 27 juin 1715, et ils se sont dirigés vers le Nord en direction de la rivière Churchill. Puis, on n’a plus reçu de nouvelles des pacificateurs jusqu’au 13 avril 1716, date à laquelle trois Moskégons sont arrivés à York Factory pour signaler que le groupe avait souffert d’un manque de nourriture, ce qui l’avait forcé à se diviser en quatre ou cinq sous-groupes. Selon leurs dires, le chef des Moskégons avait emmené quatre hommes, de même que Stuart et Thanadelthur, en direction des territoires de chasse d’hiver des Dénés. Un autre sous-groupe de huit hommes moskégons a pris une route différente en direction de ces territoires de chasse. Ces huit hommes ont rencontré un groupe de Dénés et ont tué neuf personnes en légitime défense.

(1640)

Ces deux histoires, qui proviennent de deux sources d’archives, sont essentiellement identiques.

Le 7 mai 1716, le chef des Moskégons est retourné à York Factory avec Stuart, Thanadelthur et quatre Dénés. Stuart s’était joint au chef cri pour faire la démonstration que les deux groupes d’Indiens avaient fait la paix. D’après le rapport de Stuart, le groupe est tombé sur les dépouilles de Dénés tués par des Moskégons. Thanadelthur a accepté d’amener son peuple au camp afin de lui expliquer la situation et d’arriver à obtenir la paix. En dix jours, Thanadelthur est revenue avec 400 Dénés, dont 160 hommes. Le chef des Moskégons a alors expliqué, par l’entremise de Thanadelthur, qui faisait office d’interprète, qu’une paix avait été conclue et il a offert son calumet en signe d’amitié. Les chefs dénés ont accepté et, après deux jours de réunions et d’échange de présents, ils sont repartis chacun de leur côté dans la paix. Le chef des Moskégons a emporté avec lui quatre garçons dénés « adoptés » en signe de paix. Un de ces garçons est demeuré avec le chef et a été traité comme l’un de ses fils.

Honorables sénateurs, comme je l’ai mentionné au début de mon discours, de nos jours, on enseigne en classe les expériences de Thanadelthur en matière d’enseignement et de discussion sur des sujets sensibles. Je vais prendre un exemple donné par Jane Hunt :

Quelles sont les différences entre les conditions de vie de l’époque et d’aujourd’hui? Que faisaient les gens pour trouver de la nourriture (cueillette, chasse, agriculture) et en quoi est‑ce différent d’aller faire l’épicerie comme aujourd’hui? Quelles étaient les aptitudes nécessaires pour survivre dans la nature, dans les petits villages ou dans les villes? Que devaient faire les gens au quotidien pour survivre? Étayez vos idées par vos connaissances et d’autres documents.

Honorables sénateurs, le 13 août 2017, une journée de commémoration a eu lieu à Churchill, au Manitoba, à l’occasion du 300e anniversaire de l’événement. Sous la direction de Mme Lucy Antsanen, de nombreux Dénés et de nombreux Cris se sont réunis à Churchill pour rendre hommage à Thanadelthur et commémorer ce qu’elle a accompli.

De plus, pour son courage, ses talents d’artisane de la paix et son apport à l’histoire du Manitoba et du Canada, Thanadelthur a été nommée « personnage historique national » en 2000 et « exemple historique pour les jeunes » en 2002.

En août 2022, Mme Antsanen et des représentants de la nation dénée du Manitoba et de la Saskatchewan m’ont invitée à Churchill à l’occasion du changement de nom de la place Hudson, qui a alors été rebaptisée « place Thanadelthur ». À cette occasion, j’ai prononcé une deuxième allocution dans le but de présenter des excuses aux Dénés pour les souffrances qui leur ont été infligées.

Les Dénés ont signé le Traité no 10 à Brochet, au Manitoba. Les Cris ont commencé à s’installer au début des années 1920. À bien des égards, les relations entre les Cris et les Dénés ont longtemps été violentes, mais il y a eu des mariages entre ces deux peuples, et ces familles ont duré jusqu’à aujourd’hui. Ma tante et d’autres membres de ma famille sont d’ailleurs Dénés.

Ces relations violentes ont amené les Dénés à quitter leurs terres traditionnelles. Lorsqu’ils ont quitté Brochet en 1974, ils ont perdu la sagesse et le sentiment d’appartenance historique qui s’y rattachaient. Ils ont pris la décision extrêmement difficile de s’installer à Lac Brochet, un endroit sans électricité où ils ont réussi à se forger une place grâce à leur détermination inébranlable.

En 2009, lors de la célébration du centenaire du traité, j’ai prononcé mon premier discours d’excuses aux Dénés parce que c’était la chose à faire. Je reste une amie proche et une alliée de mes frères et sœurs, de mes grands-mères et de mes grands-pères dénés. Mon père et ma mère étaient proches des Dénés, et mon père a rendu visite aux Dénés de Lac Brochet, les a aidés dans les moments difficiles et a célébré les bons moments avec eux. Les Dénés m’ont raconté des histoires sur mes parents. Je n’aurais jamais connu cette facette de mon père si les Dénés ne m’avaient pas raconté ces histoires. Tout au long de ces années, en tant que Cris et Dénés, nous avons continué à nous réunir pour discuter non seulement de notre histoire collective tumultueuse, mais aussi de ce qui nous unit.

Je me suis toujours sentie comme une étrangère sur ces terres car nous nous trouvions sur le territoire historique des Dénés, alors que nous étions Cris. En 2005, lors de notre rassemblement annuel à Brochet, l’aîné Joe Hyslop a déclaré ce qui suit : « Ceci est ma terre et mon territoire. » Prenant la parole après lui, j’ai déclaré que c’était bel et bien le cas, mais que ce territoire était aussi le mien. En effet, c’est sur ce territoire que je suis née et que j’ai grandi, et c’est à celui-ci que je suis attachée depuis ma naissance. J’ai toujours su que nous devions nous efforcer de maintenir la paix, car nous sommes tous membres de la même famille.

Vous voyez, nous étions déjà sur la voie de la réconciliation avant même que ce mot ne soit sur toutes les lèvres. Nous y travaillions activement depuis l’époque de Thanadelthur.

Chers collègues, j’aimerais vous faire part des excuses que j’ai adressées aux Dénés, à Churchill, en août 2023.

Je remercie les Dénés de m’avoir invitée et de m’accueillir sur leur territoire.

J’aimerais commencer par un moment de réflexion sur les mauvais traitements qui ont été infligés aux Dénés tout au long de l’histoire, y compris par les Cris dans ce cas-ci. Je tiens à dire à quel point je suis désolée de la peur, de la douleur, de la souffrance et des humiliations que les Dénés ont vécues durant leurs contacts étroits avec les Cris.

Je sais qu’il n’y a rien que je puisse dire aujourd’hui qui pourrait effacer la douleur et la souffrance que vous-mêmes et vos ancêtres avez vécues, individuellement et collectivement. Cependant, je vous tends la main dans un esprit de sororité et de fraternité, dans l’espoir d’aider à régler notre passé et d’entreprendre un nouveau commencement — ce nouveau commencement pour lequel Thanadelthur a déployé tant d’efforts et œuvré sans relâche.

Mes parents étaient Horace McCallum, de la Première Nation de Peter Ballantyne en Saskatchewan, et Marie Adele Thomas, dont les ancêtres étaient des Métis de Selkirk et de Cumberland House, en Saskatchewan. Ils sont venus tous les deux s’établir à Brochet, dans le territoire visé par le Traité no 10. J’ai grandi dans le camp de piégeage et de pêche jusqu’au moment où j’ai été envoyée dans un pensionnat en 1957. Notre maison à Brochet se trouvait sur l’île, en face du magasin Northern Store. Je pouvais seulement retourner chez moi l’été : c’est le seul moment où les enfants cris et dénés pouvaient quitter le pensionnat Guy Hill pour rentrer chez eux.

(1650)

Je me souviens des tambours et des jeux de mains auxquels jouaient les Dénés, et ces activités culturelles font partie de mes souvenirs les plus chers. Quand les soirées étaient calmes, on pouvait entendre le son des tambours dans tout le village. C’était les Dénés qui jouaient du tambour. Dans les moments de grand stress de ma vie, je recherchais le son des tambours parce qu’il me rappelait mon foyer et ma parenté à Brochet. Aujourd’hui encore, les tambours restent pour moi un moyen de guérison très puissant. Dans les moments de grand stress, j’ai sollicité les conseils de mes amis et de ma famille cris et dénés, et j’ai cherché du réconfort auprès d’eux. Les Dénés seront toujours un point d’ancrage solide dans ma vie, et j’espère continuer à cheminer avec vous tout au long de ma vie.

Je me souviens d’avoir entendu des anecdotes sur les traumatismes infligés à nos frères et sœurs dénés, qui avaient estimé devoir quitter Brochet pour rendre la vie de leurs enfants plus sûre. Leur décision de déménager leur avait demandé un grand courage, celui de quitter leur territoire d’origine et de refaire leur vie à Lac Brochet. Nous ne devons pas oublier les souffrances et les traumatismes qui ont marqué ce déplacement, ni ce que les Dénés continuent de ressentir à la suite du traitement brutal que les Cris leur ont infligé. Nous devons faire face à la vérité crue et malaisante partout où la violence et les traumatismes sévissent, y compris à Churchill, à Brochet et à Tadoule. Nous devons y faire face et y remédier. Commençons par le récit historique de Thanadelthur et, comme elle, défendons la justice.

Je dois aussi me souvenir de l’existence des traumatismes intergénérationnels. Les injustices historiques de ce genre, que ce soit à Lac Brochet, à Tadoule ou à Churchill, continuent aujourd’hui d’avoir des conséquences sur la pérennité et la vitalité des communautés en cause, leurs lois et coutumes, leur langue, la propriété de leur territoire et leur souveraineté.

Je ne connais pas l’ampleur des horreurs que certaines familles et certaines personnes ont vécues, non seulement à Brochet, mais aussi à Churchill. Dans son livre intitulé Night Spirits, Ila Bussidor a décrit bon nombre des préjudices qui en on découlé et qui en découlent encore aujourd’hui.

Je comprends que les Inuits, les Métis, les Premières Nations et les peuples non autochtones ont infligé des traumatismes aux Dénés de Churchill. Comment entamer le processus de réconciliation ou conciliation? Comment entamer la conversation avec le gouvernement fédéral qui a arraché les Dénés à leur mode de vie nomade et à leurs terres pour les installer de force à Churchill, sans aucune ressource, y compris le logement? Comment le gouvernement reconnaît-il le préjudice que les politiques d’expulsion ont fait subir aux Dénés?

Cerner les conséquences sur les communautés et les individus est un moyen efficace de reconnaître le fondement des distinctions entre les Premières Nations. Comme vous le savez, Thanadelthur, interprète et négociatrice émérite, a joué un rôle diplomatique crucial qui a conduit à la paix entre son peuple, les Dénés, et son ennemi traditionnel, les Cris.

Au nom des Cris, je reconnais le mal qui a été fait à nos frères et sœurs, les Dénés. Les Cris et les Dénés ont leurs propres cultures, et à Brochet, il y a eu un mélange des deux parce que nous vivions ensemble et nous nous sommes aimés. Nous avons eu des familles ensemble. Le Créateur nous a réunis pour une raison, et nous devons honorer l’unité des deux tribus pour cette raison. Pour le bien de nos enfants, nous devons nous retrouver.

J’espère que cette reconnaissance et ces excuses conduiront à un processus de guérison — une reconnaissance de la valeur humaine et de la dignité des Dénés. Comment pouvons-nous commencer à mettre fin au cycle du ressentiment et de la souffrance?

Je ne m’attends pas à un pardon mais, personnellement, je promets de ne pas répéter les traumatismes dont vous avez souffert. Je présente mes excuses dans un esprit de guérison entre les nations crie et dénée.

Il est important que nous ne restions pas les bras croisés. Je suis consciente que les Dénés — en tant que nations souveraines — ont le pouvoir de rejeter cette déclaration et ces excuses.

Je comprends qu’il est important d’accorder du temps pour une réponse, que cette réponse ne sera peut-être pas immédiate, et que lorsqu’elle viendra, elle pourrait ne pas être positive. L’important, c’est de reconnaître qu’une injustice a été commise. C’est pour cela que je suis profondément désolée.

Honorables sénateurs, en juillet dernier, je suis allée chez moi, à Brochet, pour participer aux célébrations du Traité no 10 avec les chefs des Premières Nations de la Saskatchewan et du Manitoba signataires du traité. Nous avons réexaminé et vraiment célébré cette fraternité Dénés-Cris qui est la nôtre. Les Cris ont accueilli les Dénés chez eux, leur ont préparé tous les plats traditionnels, ont joué à des jeux de mains et se sont affrontés dans le cadre de diverses compétitions. On a dansé, chanté, joué du tambour et festoyé. J’oserais dire que ce fut le rassemblement le plus réussi et le plus collégial que nous ayons eu au cours de toutes ces années.

Chers collègues, pour terminer, je tiens à citer ce que le chef Simon Denechezhe, de la nation dénée de Lac Brochet, a dit lors de l’assemblée générale annuelle du 23 août 2023, quand il s’est adressé aux chefs de l’organisme Manitoba Keewatinowi Okimakanak, ou MKO, au sujet d’une résolution qu’il parrainait et qui concernait une journée nationale de Thanadelthur. Le conseiller cri Billy Linklater, un excellent allié qui agissait au nom du chef Michael Sewap de la nation de Barren Lands, appuyait la résolution. Celle-ci — qui demande au gouvernement fédéral d’adopter une loi désignant le 5 février comme la journée nationale de Thanadelthur — a été adoptée à l’unanimité par les chefs du MKO, avec le plein appui du conseil tribal du Keewatin et de leur grand chef, Walter Wastesicoot.

Lorsqu’il est intervenu à propos de la résolution, le chef Denechezhe a dit ceci :

Voici un récit oral qui se transmet d’une génération à l’autre. Les événements dont je vous parle sont survenus au début des années 1700. Mes parents et des aînés me les ont aussi racontés. Ce n’est pas seulement une question de reconnaissance, c’est aussi nécessaire pour avancer sur le chemin de la vérité et de la réconciliation. En tant que Nations, nous devons apprendre à nous respecter et nous reconnaître mutuellement, car c’est ainsi que toutes les nations pourront collaborer. Vérité et réconciliation : nous nous sommes engagés sur cette voie. Il faut le comprendre clairement. Nous devons collaborer entre Nations en ces temps modernes. J’ai entendu très souvent que nous devons nous entraider les unes les autres. Toutefois, il semble toujours y avoir des différends. C’est à nous qui sommes autour de la table d’utiliser notre voix, la voix de nos Nations, car nous devons reconnaître que nous aussi, nous sommes sur le chemin de la réconciliation. Merci. Maci-chok!

En terminant, je vous dis kinanâskomitin. Merci de votre écoute.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Pate, au nom de la sénatrice McPhedran, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-13(2) du Règlement, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(À 16 h 59, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 26 septembre 2023, à 14 heures.)

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